Fragment #8 - Ma famille de coeur

« Un tatouage, voilà ce qu’il te faudrait ! me crie Inès. »
Et les voilà toutes à se tordre de rire. Cela fait longtemps que se tramait en mon esprit cette envie de me retrouver avec mes copines. Toutes réunies, à discuter de la vie, de choses sérieuses ou d’autres complètement stupides. De se piquer des fous rire pour un oui ou pour un non.
« Et c’était quoi son nom à cet idiot là, qui bavait quand il m’embrassait ? Oui, oui, celui que je t’ai refilé en te disant que c’était le meilleur amant du monde ! »
Et les souvenirs, ahhh souvenirs d’une vie partagée, échangée, d’une vie remplie de ces moments insignifiants qu’on se rappelle toute une vie. Des petits bonheurs aux grands malheurs. Mais toujours là, ensemble, unies face à l’adversité de ce monde qui nous engloutit comme un requin vorace. Je les regarde une à une, et je me rends compte que je ne l’ai jamais vraiment fait. Observer chaque trait de leurs visages, la petite ride là au coin de l’œil d’Océane. La fossette qui se creuse dans menton de Jade dès qu’elle sourit. Le petit point de beauté près du sourcil gauche d’Inès. Et de mémoire, les tâches de rousseur sur le nez de Terry. Terry qui ne fait plus partie de la bande depuis quelques semaines, Terry qui se terre. Elle se coupe du monde, de notre vie, comme une lépreuse, et au nom de quoi ? De ces fantasmes non assouvis, de sa jalousie maladive à toujours vouloir briser mon bonheur. Je la pardonnerais volontiers si elle se donnait une chance. Mais elle se punit elle-même, et trop sévèrement à mon goût. Car moi je n’oublierai jamais la Terry aux yeux remplis de tristesse me serrant affectueusement le bras lors de l’enterrement de mon grand père, celle qui m’applaudit et hurle si fort lors de mes spectacles se moquant éperdument que les gens en face d’elle se retournent. Ma copine de toujours, celle des quatre cent coups. Les trois autres sont venues il y a quelques années se greffer à notre duo inséparable. Chacune différente mais tellement complémentaire. Inès est décoratrice intérieure. Jade travaille dans la mode. Océane est étudiante en histoire de l’art. Terry, barmaid dans une boîte branchée de la capitale. Et moi la danseuse/réceptionniste. Nous formons les cinq doigts d’une main.
« Allez les filles encore un petit shot de tequila ! » nous lance Jade, qui est… disons le, bien entamée ! Et la voilà qui se met à danser sur du reggae la tranche de citron à la main. La bouteille est bientôt vide, mais c’est sans compter l’œil avisé d’Océane, sortant comme par magie de son sac une Sauza Hornitos du meilleur cru, en importation directe du Mexique ! L’alcool nous rend joyeuses, et même hilares ! La moindre anecdote se pare d’un costume de fête pour se transformer en une histoire sans fin, ponctuée de rires.
« Oh et le jour ou Terry s’est prise une vitre en pleine tronche bam tellement que c’était propre ! »
Je me mets légèrement à l’écart, faisant mine de chercher un cd, je regarde la bulle d’énergie qui se trouve en face de moi, cette bulle d’amour et de tendresse. Je ne les entends plus mais je les vois, comme une scène de film au ralenti. Et ce spectacle me donne envie de sourire bêtement. La voilà la famille qui manque à ma vie, la famille de mon quotidien, elle est présente sous mes yeux émus. Ma famille de cœur.