Fragment #34 - Suspendu à une branche

Depuis l'autre jour, impossible de m'enlever cette discussion téléphonique de la tête. Merde, pauvre gamine. Adorable, cette Charlie Collomb. Dans quel pétrin est-ce qu'elle a été se fourrer ? Je savais bien que c'était une erreur de la laisser s'occuper de Charly. Je savais bien que ça lui retomberait dessus tôt ou tard, cette affaire là. Son père, son frère, et surtout son fiancé, le petit Steve, ils avaient l'air tellement abattus, tous. C'est moche, ce qui peut arriver, parfois.
« Patron ? »
J'ouvre les yeux. Grégoire me regarde en se mordant la lèvre.
« Oui ? je demande. Tu veux quelque chose ?
- Non non patron, je croyais que vous dormiez.
- Je sais pas dormir debout, Grégoire. J'aimerais, vraiment, mais je sais pas. Des fois je me dis que j'aurais préféré être un de ces bestiaux qui arrivent à dormir suspendus à leur branche d'arbre, tu sais, comment ça s'appelle déjà ?
- Un paresseux, lance le petit gamin, Vincent, depuis sa table, sans relever les yeux de ses devoirs de collège.
- Oui, je dis, un paresseux, c'est ça. »
Celui-là, il est incollable, vraiment. Il sait tout sur tout, un véritable surdoué de la mémoire. Grégoire regarde dans le vague, sans doute en train de m'imaginer accroché à une branche d'arbre en train de dormir, comme un gros paresseux.
« Allez, au boulot jeune homme, les verres vont pas se laver tout seul et il faut que je finisse ma commande. »
Tandis que Grégoire obtempère, je me replonge dans mes comptes. Depuis que j'ai mes quatre serveurs, je ne fais plus que ça : de la paperasse. L'avantage, c'est que je peux le faire en journée, et que ça m'occupe plus mes soirées. Alors quand je rentre chez moi, ensuite, il me reste plus qu'à me mettre devant la télévision, écouter le présentateur des informations nous raconter comment le monde s'écroule, comment rien ne va plus sur la planète. Et je m'endors devant un téléfilm idiot, parce que je suis fatigué et que j'ai pas le courage d'appeler Géraldine.
Ca doit être l'âge qui fait ça. Sans doute.