Fragment #494 - Aujourd'hui je ne suis plus le lâche

Je m'endors dans les draps de guimauve, au cœur de ce temple des rêves de Princesse. Lola est contre moi, lovée dans les couvertures rose enfantin de son lit à baldaquin. Du petit berceau qui se trouve à côté de nous me parvient la respiration de notre bébé. Je ferme les yeux, un grand sourire sur les lèvres. Aujourd'hui, je ne suis plus le lâche. Je suis un prince charmant, un vrai, de ceux dont les petites filles rêvent jusqu'à leur mort.
Demain, nous déjeunerons en compagnie de mes frères et des mes parents, mais je n'ai plus peur. Le pire est désormais derrière moi. Et même si il est clair que le père de Lola ne me fait pas encore confiance, je sais que ça viendra, qu'il suffit juste de laisser le temps au temps. Ce sont les gens comme Lola et sa mère qui ont raison. Il faut faire confiance. Il faut aimer. Le reste, tout le reste, n'a pas d'importance. Mais aimer, qu'est-ce que c'est ? Un sentiment de solitude de l'être qui a besoin d'être comblé, complété ? Un désir narcissique ? Une invention qui déculpabilise l'appel de la chair ? Une prison pour les pulsions conçue artificiellement ?
Un peu tout ça, sans doute, si l'on regarde d'un œil rationnel. Mais l'heure n'est pas à la rationalité. L'heure est la magie, l'heure est à la beauté. Dans la tête des enfants, cette nuit, un vieil homme parcourt le ciel, venu du Nord dans son grand traineau, guidé par des rennes volants. Il apportera des présents pour les déposer au pied de tous les sapins, dans toutes les maisons. Cette nuit on oublie la pauvreté, la misère, le malheur et la mort. Cette nuit il n'y a plus que la peur de n'avoir pas été sage, l'excitation, l'attente du lendemain. C'est un moment secret et vibrant, un moment tant attendu. Lucidité, sainte lucidité. N'est-ce pas te trahir que de te placer sur un piédestal ? Est-ce que l'Homme n'est pas lié à ses rites ancestraux, à ses poudres de rêves, à ses sortilèges ?
Que serions-nous sans tous ces fantômes, tous ces esprits qui hantent nos imaginaires ? Que serions-nous sans l'espoir insensé de l'amour, de la foi, du destin ?
J'aime Lola, non pas parce que je suis aveugle, parce que j'en ai besoin. J'aime Lola parce que je le veux. J'aime Lola parce qu'elle est la femme avec qui je veux passer le reste de mes jours.
Tout le reste n'est que passion éphémère, illusion, afflux de sang et d'erreur.
La magie qui ne sait pas qu'elle est magie est prestidigitation. Je veux la vraie, la sorcellerie véritable. Le pouvoir quasi mystique des profondeurs du monde. La grandeur sublime de nos rêves, de nos vies.
Je veux aimer Lola.
Et je l'aime.