Fragment #43 - Tureïs

L’inspecteur m’interroge, il est laid ; de lui se dégage quelque chose de malsain. Son intelligence semble réduite mais elle est, qui plus est, orientée vers la recherche de la tromperie et du mensonge, aveugle à la sincérité.
C’est la cinquième fois qu’ils m’interrogent, les questions sont toujours les mêmes. Je répète mon histoire, changeant quelques mots, modifiant mes phrases pour éviter de donner l’impression de mentir. De toute manière je ne mens pas beaucoup. J’ai effectivement passé la soirée avec Pierre, chez moi, et il est ensuite rentré chez lui. Bon je l’ai accompagné chez lui mais c’est un petit mensonge. De toute manière je leur dit effectivement la vérité, je n’aime pas dormir avec quelqu’un à mes côtés.
Je retourne attendre sur une chaise, dans le couloir, sans un café.
L’après-midi passe lentement sans que je sois réinterrogé. Je me demande pourquoi ils ne me laissent pas partir. Je ne savais pas que l’ennui pouvait m’épuiser.
A dix-sept heure, un inspecteur m’autorise à partir et me confirme que Pierre est mort d’un accident domestique.

Je rentre chez moi énervé et agacé. Je regarde dans la boite aux lettres, aucun courrier. Une affiche, avec la photo d'un chaton tout gris, est accrochée juste à côté du local à poubelle. Encore un chat égaré. Je m’approche pour mieux regarder, par curiosité.

« Vend bébé chartreux contre bon soins pour cause d’allergie, appartement 101 »

Je sonne. La porte s’ouvre sur une petite fille, d’environ huit ans.
- Bonjour !
La voix est fluette, innocente et pleine de bonne humeur.
- Bonjour, tes parents sont là ?
- Maman ! Maman !
- J’arrive !
Une femme de trente ans apparaît dans l’encadrement de la porte. Elle me dévisage, surprise de ma présence.
- Oui, c’est pour quoi ?
- Bonsoir, je suis votre voisin. J’ai vu l’affiche et je me demandais si le chaton était toujours à donner.
- Oh oui ! Excusez moi, vous désirez entrer ?

Je repars un quart d’heure plus tard avec un chaton, une litière et quelques boites de patée sous les bras, le portefeuille plus léger de deux cent euros. A peine posé sur le sol de l’appartement, le chat s’enfuit sous une commode. Tant pis pour toi, débrouille toi.

La soirée se passe sans que j’en aperçoive la queue. La bestiole finit par émerger, avançant vers moi d’une démarche chaloupée, dôle de petite chose perturbée. Je le saisis et commence à la caresser.
- Va falloir que je te trouve un nom petit bout.
Il me mordille le bout du doigt doucement, concentré sur ce bout de chair rose et pulpeux. Je ne peux m’empêcher de le trouver mignon.
Tout en le caressant je surf sur le net.
Je veux un nom flamboyant, un nom qui brille, un nom d’étoile.
Altaïr ? Non, ça ne colle pas. Procyon ? Non plus. Sargas ? Les noms défilent, j’hésite. C’est dur de nommer quelque chose, on a l’impression que de ce nom dépendra l’existence du nommé.
Tureïs. Oui, celui-là.

Je vais me coucher. Quelques minutes plus tard, un miaulement se fait entendre au bord du lit. Je saisis Tureïs et le pose à mes côtés. C’est bizarre cette petite boule de poils qui déjà semble dépendre de moi, qui a déjà confiance en moi.
On s’endort tous les deux, fatigués de cette journée.