Fragment #45 - Abus d'autorité

Cette conne refuse de me donner son portable. Sa frange de petite bourgeoise se balance au rythme de sa négation. Elle porte un leggings gris avec un gilet comptoir du cotonnier. Son regard, trop maquillé, ose à peine me toucher, comme si j’étais couvert de saletés. Je ne comprends pas pourquoi il est si difficile aux lycéens de respecter cette part du règlement : les portables sont interdits en cours et au réfectoire.
Je tends la main, attendant devant l’ensemble des lycéens qu’elle abdique face à mon autorité.
- Mademoiselle Derémieu, j’attends.
- Oui et vous pouvez attendre longtemps, des gens sont morts dans cette position.
Le ton est hargneux et hautain. Cette pétasse est un pur produit des rallyes.
- Bien, donnez moi votre carnet de correspondance.
- Mais bien sûr, de toute manière je le récupère dans l’heure et sans être collé.
C’est ce qu’on va voir espèce de conne. J’ai envie de la claquer dans un mur, de la voir pleurer, s’effondrer. Je voudrais voir s’effacer cette moue arrogante de son faciès parfait.
Je saisis son carnet et m’éloigne. Je me retourne, après quelques pas, pour voir ses yeux méprisant me suivre et m’épier. Une feuille tombe de son cahier.
Je me baisse, la ramasse et la lit tranquillement sous son regard effaré. Sa peau tourne lentement au rose bonbon puis, au rouge cramoisie. Je reviens lentement vers sa table, prêt à dégainer.
- Bah quoi t’en as pas eu assez ? Tu reviens la faire chier ?
Une pauvre blonde sans class et vulgaire commence à m‘agresser, ça aussi je vais le faire payer. Je tends lentement la main vers son nez.
- carnet.
Elle me le remet d’un geste nonchalant, me faisant ainsi comprendre qu‘elle n‘en a rien à carrer.
Bien, commençons.
- Mademoiselle Derémieu, il fallait me le dire que je vous plaisais. Charmante cette lettre d’amour enflammée. Peut-être pourrait-on en profiter collectivement. Non ?
- S’il vous plait, arrêtez.
Le ton est geignard, presque suppliant. Jouissif…
Je commence à déclamer, articulant bien chaque mot sur un ton détaché :
« Maël, j’aimerais tant te dire ce que je ressens, partager avec toi tous ces sentiments… » Je m’arrête et la regarde sangloter. Ses compagnons de tables me fixent, effarés. Quelques rires résonnent encore autour de nous.
- On continue ?
- Non, excusez moi pour mon comportement irrespectueux.
Chaque mot lui écorche la bouche, son regard est presque haineux. Je me suis fait une nouvelle meilleure amie.
- Bien, on va s’arrêter là. Sachez que summum ne s’écrit pas avec deux « o » dans votre phrase « vous êtes le somom de la beauté… ». Bonne journée.
Je m’éloigne tandis que ses amis s’approchent pour la réconforter. Je pense que la leçon a porté ses fruits, aucun portable n’est de sortie.
Mon heure de surveillance se termine dans le calme. Lorsque j’apporte le carnet à madame Grégan, celle-ci me sourit.
- Je me demandais si vous alliez sévir un jour.
- Comment ça ?
- C’est le premier carnet que vous me ramenez… Elle a dû pousser le bouchon un peu loin cette fois.
- En effet, j’aimerai qu’elle soit collée, ainsi que son amie. Mademoiselle Derémieu a refusé de me donner son portable et a essayé de m’humilier. Suite à celà, son amie m’a tenu des propos insultants.
- Bien, contente de vous voir entrer dans l’équipe des méchants surveillants.
Je retourne à mon bureau, pensif, le regard perdu sur la cour centrale. Elle a presque réussi à me toucher avec sa tentative de complicité.
Elyan passe devant la fenêtre et lève ses deux pouces en me voyant. Il était au réfectoire durant la scène et ne m’a pas lâché du regard. C’est un peu à cause de lui si j’ai été si méchant, je ne pouvais pas perdre la face devant lui…
Bien, les compteurs sont ouverts... Et d’une.