Fragment #74 - Lundi au soleil

Je suis à Pigalle au café « la Fourmi ». C’est le café où les employés des cabarets du coin se retrouvent. La plupart des gens se sont assis en terrasse pour profiter du soleil ; j’aurais bien fait de même mais les tables étaient toutes prises. Assis à l’intérieur, je savoure mon thé à la menthe sans me presser.
Le serveur de la dernière fois est encore là mais je ne crois pas qu’il m’ait reconnu. J’attends dix-sept heure pour revisiter l’appartement de la rue Ravignan, Nicolas Beuzier m’a rappelé pour me confirmer la mise en vente.
Les parisiens dévêtus par cet avant goût de printemps défilent devant le café. C’est un ballet de lunettes de soleil, de marcels alors que la fraîcheur persiste, et des jupes par milliers. Depuis que je suis à Paris j’essaye d’être toujours correctement habillé, d’avoir un style. Obsession de l’apparence pour se démarquer, pour ne pas devenir invisible. Ça me fatigue et ça se sent. Aujourd’hui je porte un jean trop large, mal taillé, un tee-shirt déformé. Pouilleux.
Je sors pour me griller une clope. Les gens bien habillés m’observent un instant avant de retourner à leurs conversations.
Alors que je m’allume ma cigarette le serveur vient me rejoindre pour m’en taxer une.
- T’es du quartier ?
- Non pas encore, à la fin du mois j’espère.
- Cool, tu vas voir c’est super sympa ici, les gens sont pas prise de tête.
- J’ai remarqué, j’aime beaucoup les habitués du café.
- Ah bon ? T’as déjà parler avec quelqu’un ? Je les connais tous.
Je me sens stupide soudainement.
- Euh non. Je voulais juste dire qu’ils donnent envie de les connaître.
Il me regarde bizarrement, d’un regard noir dissimulé par ses longs cils épais.
- Ah ouais. Bon je dois reprendre le service. Merci pour la clope.
Le ton était dubitatif, le départ rapide. Je n’ai pas dû faire forte impression.
Mon téléphone sonne dans ma poche et je m’empresse de regarder le message pour me donner une contenance.
" Sauna ce soir vers dix-huit heure ? "
Le texto est de Nicolas.
" Non merci, une autre fois. "
Je réalise soudainement qu’il fait beau partout, sauf dans mon cœur.