Fragment #21 - Des cris et des larmes

Après les cours, j'ai passé la fin d'après-midi chez Lou avec Ninon, et nous avons goûté ensemble et fais nos devoirs d'anglais pour demain. Lang nous terrifie, avec son sceptre et ses postillons. Parfois, il entre dans une colère noire, on dirait qu'il va tout casser. Tous les élèves se ratatinent sur leurs chaises et attendent que l'hystérie passe. Et pire encore que le prof d'anglais, il y a Mme Condor, la CPE. Aujourd'hui, alors que nous allions à la cantine, elle m'a disputé en croyant que je doublais tout le monde dans la queue. Je suis devenu rouge et je n'ai pas su quoi répondre, alors que je n'y étais pour rien. Elle m'a crié dessus, avec sa tête de faucon terrifiant, et tout mon corps s'est mis à trembler. Tristan et Jessica, les gentils pions, n'étaient pas là pour me défendre : il n'y avait qu'Ahmed, le sbire de Condor, et il me regardait d'un air mauvais.
En rentrant, je passe chez papy et mamie, qui regardent la télévision très fort et n'entendent pas mon « bonsoir ». Je monte les escaliers pour arriver chez nous. Ben et maman se hurlent dessus. Je vois qu'elle continue à lui parler d'un air arrogant, et pourtant elle sait qu'il n'aime pas ça. Elle devrait se douter que ça finira mal, encore, et qu'il la cognera très fort. La dernière fois, une pensée terrible m'est venue, et je l'ai aussitôt chassée de ma tête. Mais là, en les voyant se disputer encore, cette affreuse idée revient et me hante : peut-être que maman aime se faire battre. Peut-être qu'elle n'attend que ça et le provoque dans ce seul but.
Je me réfugie dans ma chambre. Allume mon ordinateur. Ouvre une session Facebook et MSN. Les cris sont toujours là. Je lance Deezer pour couvrir leurs voix. Et ça rame, comme toujours. Et les cris ne s'arrêtent pas. Est-ce que Nikki et son petit ami les entendent, là-haut ? Pourquoi est-ce que personne ne fait rien ? Pourquoi est-ce que je suis le seul à assister à ce spectacle sans fin ?
Je me dis « vivement demain », puis je me souviens du cours d'anglais avec monsieur Lang à huit heures et je sens des larmes me brûler les yeux, d'un seul coup, comme si elles étaient restées là trop longtemps. Peut-être qu'elles étaient bloquées, alors elles sortent comme des furies, elles me déchirent les yeux et roulent sur mes joues en rivières de feu. Je tombe sur mon lit, lourd comme une pierre, et mes bras sont secoués de frissons qui remontent dans mon ventre. Je pleure. C'est comme si des écluses avaient été ouvertes et que l'eau s'échappait enfin dans un torrent d'écume enragée.

Les sanglots sont bruyants, mais pas assez forts pour que ma maman les entende.