Samedi 13 février 2010
à Plombières-les-Dijon
15h15. Le quart sonne à l’église en contrebas. Je continue de monter. C’est un vrai chemin de croix ce pèlerinage jusqu’au cimetière. Normal que l’on n’y croise jamais personne. Il n’y en a pas très long, une vingtaine de minutes depuis chez moi, mais vous verriez la pente ! Elle limite l’accès. On peut aussi accéder au cimetière par le dessus, mais dans ce cas là il vaut mieux y aller en voiture.
Je pousse la grille qui grince. Je prends un arrosoir, ressors pour le remplir à la fontaine, et entre de nouveau. Je connais assez bien le chemin au travers des stèles. Une fois arrivée devant la plaque avec le nom de mon père, je ferme les yeux et lui dis bonjour. Papa. Je lui dis que j’arrose les fleurs, que malgré le froid elles sont encore bien belles. J’enlève également le reste de neige qui encombre le marbre. C’est plus joli ainsi.
Désolé si tu trouves l’eau un peu froide, mais je n’ai que ça. Pour nous non plus il ne fait pas très chaud. Mais tu vois là-bas ils n’ont pas d’eau. Pas sur place. Les femmes du village font plus de quatre kilomètres pour aller à la rivière, et reviennent avec plusieurs litres d’eau sur la tête. Et elles font cela chaque jour. En plus l’eau de la rivière n’est pas forcément très propre à cause des bateaux à moteurs qui circulent dessus et qui dégazent forcément. C’est pour cela que j’y vais. Pour améliorer leurs conditions de vie. Je vais les aider à creuser un puits. Avant il y en avait bien un mais les hommes du village n’ont pas pu le consolider à temps et il s’est effondré. C’est pour cela que j’y vais. Je reviendrai vite te voir. Ne t’inquiète pas pour moi, je saurai me débrouiller. Je suis grand maintenant. Ne t’inquiète pas Papa.
Je m’assois sur mes talons. Je me recroqueville pour me protéger du froid. Je garde ma chaleur pour moi, je m’expose moins au vent. Cette position, plutôt inconfortable, a ses avantages. Je ne tiendrai pas longtemps, mais je n’ai plus beaucoup de choses à lui dire. Lui parler un peu de Pierre, de Thomas, et bien évidemment de Laura.
Elle va bien. C’est une vraie femme maintenant. Tu sais, elle est toujours avec Damien. Je t’avais déjà parlé de lui. C’est un type bien. Il est bien pour Laura. Je continue de veiller sur elle, mais ça me rassure qu’elle se pose avec lui. Et au niveau de son boulot, pas de changement non plus, elle continue de travailler sur le scénario d’une série à petit budget. Je n’en ai pas encore vu d’épisode, mais je suis sûr que ce sera bien. Elle y passe du temps. Parfois elle essaie même des dialogues dans la salle de bain. Je crois qu’elle ignore que je sais qu’elle parle à son miroir. Bref tout va bien. Je reviendrais bientôt. Couvre toi bien encore un peu, le temps que l’hiver se termine, il fait froid.
Je me relève. Le vent s’engouffre entre mon menton et mon écharpe. Je frissonne. J’ai des fourmis dans les jambes, et ça ne me fait pas de mal de bouger un peu. Je dépose l’arrosoir à l’entrée, et ferme derrière moi la porte grinçante. Je me sens toujours plus léger en redescendant d’ici ; toujours plus austère aussi. Je ne parle plus. Redescendre au village c’est revenir à al réalité. A la vie.