Fragment #27 - A tombeau ouvert

Je ne pensais pas que ça allait faire comme dans les films. Flashs bleus, néons blancs et cris autour de moi. Et puis le blanc. Je dis le blanc, mais en fait tout est noir. Je flotte dans le noir. Un trou noir où je suis aspiré. J’ai l’impression d’être léger et de ne plus pouvoir rien faire. Je reste un long moment dans cet état de flottement. Le temps passe… C’est comme ça alors mourir ? On reste conscient dans un vide complet. Je sens déjà en moi l’angoisse que peut procurer un tel vide à la longue. Plus rien. Plus d’images. Plus de sensations. Juste le vide. Je pleure. Même dans la mort, je pleure. Pathétique. Même si je suis dans le noir, j’ai les yeux fermés. Mais quelque chose brille en dehors. Mes paupières bien qu’elles soient closes ne peuvent empêcher la lumière de m’atteindre. Serait-ce la lumière blanche dont tout le monde parle ? J’ouvre les yeux. Surprise. Sofia que fais-tu là ? Si tu es là, c’est que tu es morte aussi ? Nous voilà réunis alors ? Non. Tu n’es pas là. Je connais cette scène. Je connais cet endroit. Le restaurant universitaire. Tu es assise en train de lire un livre sur la photographie. Tu es à côté de moi. Mais tu ne me regardes pas. Tu ne me connais pas encore. Nous ne sommes pas encore amis. Je m’en vais en cours en regardant par-dessus mon épaule et toi tu lèves ton nez du livre.
« Salut. Comment tu t’appelles ? Bon je sais que c’est un peu abrupt comme début mais bon. Il semblerait que nous devions nous croiser. Je ne t’avais jamais vu avant le métro. Et depuis, je te vois partout. C’est bizarre non ? »
Je n’avais rien répondu, juste sourit. J’avais enfin entendu ta voix. La voix d’un ange. De mon ange.
« Alors comme ça, je ne suis pas transparent. Tu m’as vu. Je ferai plus attention.
- Je ne veux pas que tu fasses attention. Tu peux me parler. Tu n’as pas l’air comme tous les autres. Et tu as une tête de gentil. »
La rencontre parfaite. Comme dans les films. Tout n’a pas toujours été facile entre nous. Surtout vis-à-vis des autres. Mais nous étions heureux. Je l’étais.
Fin de la séquence. Encore une fois, le film de ma vie saute et passe à une autre partie. Une lame de rasoir posée sur mon poignet. Et ce trait fin et rouge qui se dessine. Le sang coule. Mais une chose change de la réalité. Le sang et son acide se transforment en un monstre qui me dévore. Ce monstre tapi en moi depuis toutes ces années. Je le vois enfin. Cette chose qui me ronge n’a pas de forme réellement. Elle se tord dans tous les sens. Noire, gluante, répugnante. Elle prend tour à tour le visage de Sofia, de Suzanne, d’Agnès, des gens qui m’ont fait mal. Tu m’as eu saloperie. Je ne lutte pas. La forme fond sur moi. Tu as gagné. Tout est fini. Tout est fini.
« Putain, tu me fais pas ça. Tu ne m’abandonnes pas s’il te plaît. Tu n’as pas le droit. Tu vas te bouger. »
La voix de Claire. Comment ça se fait ? Pourquoi ? Je suis mort. Je ne devrais pas l’entendre. Sa voix est de plus en plus tendue.
« Putain de merde. Me fais pas ça. Pas question que tu restes comme ça. Sors de ça. »
Les larmes et la colère déforment sa voix.
« Ouvre les yeux Damien !!! »
J’ouvre les yeux dans tout ce noir qui m’entoure. Et ce que je découvre me perturbe. Des tuyaux sortent de mes veines. Claire est là. Près de moi. Je suis allongé et je ne reconnais pas la pièce où je suis.
« Qu’est-ce qui se passe ? Où est-ce qu’on est ? Je suis mort.
- Non tu ne l’es pas. Tu es aux urgences. Je t’ai trouvé ce matin.
- Comment ?
- Ian ton collègue a cherché à te joindre. Mais tu ne répondais pas. Il a appelé au numéro que tu as donné en cas d’urgence. C’est moi qu’il a eu et il m’a raconté ses craintes depuis l’épisode de samedi soir et le fait qu’il ne t’ait pas vu au travail lundi sans que tu ne préviennes personne. J’ai décidé de venir voir alors.
- Et les parents ?
- Les parents croient que je suis venu passer la semaine chez toi du coup. Ils ne savent pas. Par contre, j’ai appelé Suzanne. »