Fragment #61 – Les nuages de mousse de poussière

La dernière fois, je ne me souviens même plus quand c'était, la dernière fois. Nous somme là, Déborah et moi, dans ce parc de la Toison d'Or qui ne nous a pas oubliés. Il y a des nuages de mousse de poussière dans le ciel, l'air nous berce entre douceur et fraîcheur. C'est l'été. C'est les vacances. Déborah a terminé ses examens. Elle est revenue à la vie. Ou bien ses examens sont sa vie. Nous sommes là, Déborah et moi, dans ce parc qui nous connaît si bien. Il y a des nuages de mousse de poussière dans le ciel. Nous regardons en silence de lointains inconnus venus jusque ici pour faire crier leurs poussettes, rouler leurs chiens et aboyer leur sauvage progéniture. Sur le chemin sont éparpillés des jeunes cailloux qui s'ennuient à n'en plus pouvoir bouger d'un minéral et des brindilles rejetées par leurs propres arbres. Dans le ciel il y a des nuages de mousse de poussière, et nous sommes là, Déborah et moi, dans ce parc qui...
« Dimitri comment tu vas ? »
Comment je vais. Déborah.
« Michelle est morte. Et toi ? »
Pardon, je ne voulais pas être si... Si sauvage. Je ne voulais pas geler ce silence. Je pensais que j'aurais besoin de toi, de parler d'autre chose, de penser à autre chose. Je n'y arrive pas. C'est de Michelle dont j'ai besoin. Et c'est en vivant dans le noir, au plus près de ce qu'elle « vit » désormais, que je me sens le plus près d'elle. Mais je ne sais comment le dire autrement qu'en tournant les yeux vers toi.
« Tu travailles toujours au Dionysos ?
- Euh non. C'est en quelque sorte Romain qui me remplace. Il est venu habiter avec Ambre et moi. La maison ne ressemble plus du tout à ce qu'elle était. Ambre dit qu'il faut passer à autre chose, que Michelle voulait nous réunir à nouveau pour ça. Pour continuer de faire frétiller l'amour dans lequel elle nous avait élevés tous les trois, mais sans elle, à notre façon. C'est plutôt déstabilisant de les voir revenir et agir avec moi comme si on avait toujours été liés. Je suis retourné plusieurs fois au square Clemenceau. C'est Ambre qui me l'avait montré. Tu sais, elle était vraiment émue de me raconter tout ce qu'on à partagé là-bas avec Romain et Michelle. Mais je n'ai toujours aucun souvenir de ça. C'est ça qui est gênant. Alors je viens de plus en plus souvent ici, ou ailleurs, dehors. Pour lire.
- Tu lis quoi ?
- L'écume des jours. De Boris. Je l'ai trouvé tout en bas de la bibliothèque de Michelle, c'est la seule chose à laquelle Ambre n'a absolument pas touchée. Ca mélange amour et musique avec un peu de fantaisie. J'aime bien. »
Je sors le trésor de mon sac, l'ouvre délicatement pour que les pages dont je sais la fatigue ne s'envolent pas, et commence à lire à Déborah le passage où le petit nuage propose à Chloé et Colin de les envelopper pendant leur promenade.

Dans le ciel il y a des nuages de mousse de poussière de passé.

Et je pleure.