Altaïr
| Sujet: Fragment #65 - Le Vrai Cri de l'Euménide 09.04.08 18:03 | |
| Vendredi 25 août 2006 à Dijon … Non, rien oublié. Mais j’ai fui. Fui l’image de ce Julian incapable de te soutenir. Et je fuis encore. J’ai fui la boulangerie, mon petit palais de la gourmandise. J’ai couru dans la rue Musette et tracé dans les rues, jusqu’à la porte de l’immeuble, les escaliers de bois, et mon temple du sommeil. J’ai fermé la porte derrière moi, à double tour. Comme si un simple verrou allait accomplir ce que des kilotonnes de terres noires n’avaient pas réussi à ensevelir dans mon esprit. Mon cœur bat à cent à l’heure. Je ferme les yeux. Jill, pourquoi as-tu les cheveux bleus ?
Prendre le couteau. Revenir jusque dans le hall. Enjamber le corps d’un père qui, une fois de plus, s’est battu comme un ivrogne et, une fois de plus, rentre imbibé d’alcool. Jill a toujours détesté cette odeur, et la sentir de nouveau ici, cette pestilence éthylique, la plonge dans un état second. Le couteau en main, celui qui a une gaine ciselée. Passer devant Julian, qui semble tétanisé, encore sous l’emprise de l’ivresse du soir. Il ne comprend pas, ne réalise pas ce qui se passe. Jill le sait mais ne le voit pas. Elle passe devant lui sans même le regarder. Puis elle descend les escaliers, ouvre la grosse porte et se retrouve place du marché. Ses pas la guident vers le Quentin, fermé à cette heure. Patrick parle avec un ami à lui, dont Jill ne se souvient plus du nom. Ce sont ces porcs qui ont tabassés mon père, pense-t-elle. C’est avec ce genre de types qu’il passe ses soirées, dans sa vie de merde de porc. Elle se glisse, la Furie, dans l’ombre de la nuit. Le couteau à la main, elle crève les pneus de la voiture de Patrick, elle les saigne comme des pourceaux, de toute sa colère de Furie. Des larmes de sang invisibles sur les joues. Lorsqu’elle rentre dans l’appartement, Julian a disparu. Il faut traîner le corps de papa dans le salon. Le sang provient du nez. Papa a toujours été fragile du nez. Peut-être est-il cassé d’ailleurs. Une grosse ecchymose violacée se peint autour de son arcade. Dans la rue, on entend les beuglements de Patrick, et Jill sent un sourire de satisfaction, de joie sadique, se dessiner sur ses lèvres. Le verrou la protège. Elle savoure le goût tendre de la vengeance.
« Pourquoi as-tu teint tes cheveux ? dis-je en désignant la mèche qu’elle fait tourner autour de son doigt. - Pourquoi as-tu coupé les tiens ? répond-elle en expirant une bouffée de sa cigarette. »
Le lendemain, papa va déjà mieux. Mais il faut attendre une semaine avant qu’il ne se remette complètement. C’est qu’il n’est plus tout jeune, papa. Et après une semaine à son chevet, à s’en occuper comme d’un bambin, sans même prendre le temps de rappeler Julian qui, d’ailleurs, ne donne pas signe de vie, papa disparaît comme il est revenu. Sans laisser un mot sur le frigo, sans même un au revoir à sa fille. Alors Jill se rend chez Julian, dans son petit appartement. Il est presque minuit, mais elle a besoin d’être réconfortée. Besoin de se sentir être une petite fille entre les bras d’un homme, de son homme. D’un homme qu’elle saura préserver de l’alcool et du sang. Pas comme maman, pense-t-elle. Mais Julian, déjà, n’est plus son homme. « Je peux entrer ? - Désolé, je vais partir. » Après une infime hésitation, un couperet de glace. Jill sent de la colère lui monter aux yeux. Des larmes de sang invisibles sur les joues. « Ah, je te laisse alors. Au revoir. » Elle quitte l’appartement, pour toujours croit-elle. Comment a-t-elle pu ne pas voir à quel point Julian était lâche, à quel point il ne l’aimait pas ? Jill sent de la haine monter en elle, mais sans en prendre conscience. Elle décide de le mépriser, de ne plus penser à ce type qui n’en vaut pas la peine. Son cœur s’endurcit, son cœur est brisé. Elle se coupe les cheveux et les fait teindre en bleu (comme dans… comme dans quoi déjà ? se demandera Julian). Et puis elle l’oublie, lentement, jusqu’à ce matin dans la boulangerie. Le lendemain, elle décide d’aller frapper à sa porte, à lui, le lâche.
Nous revoilà face à face dans mon petit temple du sommeil. Jill et ses cheveux bleus. Comme dans… comme dans quoi déjà ? Pas moyen de me souvenir. Je t'avais prise pour une tueuse, la vérité de ton cri me blesse, me déchire. Je ne comprends pas. Comment ai-je pu m'embourber ainsi, ne pas te voir? Pourquoi ? Pourquoi ?! Plus encore que la boîte, c'est moi que je ne comprends plus. La haine va désenfler lentement. Mais aucun amour ne fleurira plus dans nos cœurs calcinés. Pourtant Jill, je t’ai aimé. | |
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