Fragment #34 – Coincée

Il est tard, la fête devrait bientôt se terminer. Je me sens si fatiguée, mes yeux se ferment peu à peu. Tout à coup, le canapé s’enfonce à côté de moi.
« So, you’ve changed yourself, right ? The dress suits you better than the flour by the way. »
Je comprends rien. Pourquoi il me parle en anglais, il est pas censé connaître un peu de français ? Et je réponds quoi, moi, j’ai rien compris !
« What ?
- Um… Sorry. Didn’t mean to be rude. You’re the girl I ran into yesterday, aren’t you ?
- Yes I am. »
Il ne m’a pas rentré dedans pourtant, non ? Il faut que je me fasse à son accent. Je dois lui paraître plus sèche qu’une figue. Marie, ressaisis-toi, il te parle ! Trouve un truc à dire !
« The name’s Ethan. I am Catherine’s coloc. »
Izan. Cathy et son accent pourri. J’avais compris Etane. Merde, j’aime pas les anglais et leurs sons qui remontent dans le nez. C’est inconfortable. Peut-être que je peux rembrayer sur l’appartement, comment il l’a trouvé, ça fait combien de temps qu’il vit ici… Oui, ça ferait un bon début.
« Yeah, I know, she mentioned it yesterday. Her last flat wasn’t that good. This one is quite friendly. »
Les mots ont plus de mal à s’enchaîner que ce que je croyais. Je fais du yaourt.
« She’s a nice girl. I’m glad she answered my advertisement. She didn’t feel very good these days. I hope the party cheered her up.
- Well, it’s been a long time since I saw her. I didn’t know she felt bad. What happened ? »
C’est mieux. Je suis sur la bonne voie.
« I don’t know exactly. I believe it had something to do with her boyfriend. He has been here all day. They were cloistered in her room when I got back, and I didn’t have a chance to see him. Is it this weird guy over there ? »
Effectivement, on peut dire que son copain est bizarre. C’est un type aux cheveux longs qui rigole avec la bouche de travers, il semble paumé à longueur de journée. Bah, elle l’aime, c’est son choix.
« It seems to be.
- Yeah I believe the fact he is kissing her, was an obvious enough hint.
- Bien observé Sherlock.
- Elementary, my dear Watson. »
C’est ça l’humour anglais ? Encore un blanc. Je me sens mal à l’aise, j’aimerai fuir d’ici à toute allure. Ne plus qu’il me regarde, ni qu’il me pose des questions. Pouvoir réfléchir deux secondes à ma répartie et ne pas dire n’importe quoi.
« So you’re… um… supporting the Stade Poitevin? I kinda saw your t-shirt yesterday. Catherine may have told you, I am a volleyball player, here in Angoulême. »
Il fait du volley ; nous voilà au moins un point commun. Vu sa taille, il doit être central. Quoique. Peut-être un peu petit. J’ai joué combien de temps déjà ?
« Well, I just played ten years in this club.
- Ten? Fair enough. I’m running my sixteenth one.
- What’s your position?
- I’m a middle hitter, what else?
- Dunno. »
Ca doit bien être central. Pourquoi ça s’appelle pas « central » en anglais ? Ce serait plus simple à comprendre, au moins je serais sûre de ce qu’il me dit. Je suis sûre que ce serait quelqu’un d’autre, je serais rassurée. Je saurai quoi répondre, je ne complexerais pas sur mon niveau de langue. Comme en Allemagne. C’est pareil Marie, fais pas gaffe à lui.
« You… You don’t seem to be very excited by the party.
- I’m just tired. I’d better go. »
Décidément, je suis trop conne. Pourquoi t’as dit ça, mais pourquoi ? Tu pouvais pas parler de son volley, de ses matchs – il était bien à Tourcoing hier, non ? – de sa vie en France, de Cathy, de ton doigt, de ta famille, tout, n’importe quoi, pour le garder un peu plus, pour lui faire comprendre que tu existes, que tu mérites d’être connue. Pourquoi tu parles comme ça espèce d’andouille, pourquoi tu fuis en avant, pourquoi pourquoi ?