Fragment #132 - Lever de soleil sur le dernier acte

Il fait encore nuit, et mon corps frissonne de sommeil dans la vieille voiture de Charly. Sous mes yeux, les routes poussiéreuses défilent ; petits morceaux de vie que je laisse derrière moi. Les lumières des lampadaires s'éteignent, le rideau noir se fait moins profond. Je bâille, m'étire un peu, gênée par la carcasse de ferraille. Dakar. Finalement, je n'aurais même pas eu le temps de te connaître, et repartir comme ça me laisse un goût amer dans l'arrière-gorge.
On y voit un peu plus clair lorsque nous arrivons à l'aéroport. Charly ouvre le coffre, me tend mon sac. « Pas un sac de fille, ça. » Il grogne un peu, comme toujours. Mais il a les larmes aux yeux lorsqu'il me tapote l'épaule comme un bonhomme. Il me file un cigare avec un « N'oublie pas trop, et prend soin de toi. » Il s'adosse au capot, fait bruisser son briquet, et disparaît sous un nuage de fumée.
Je suis Nathan à l'intérieur. La clim' est déjà en marche, et mon estomac vide se tord dans tous les sens. Je m'emmitoufle un peu plus dans mon gros pull. Bagages, enregistrement, etc. Puis j'étouffe. J'ai besoin de sortir. De dire adieu à cette terre qui m'a accueillie. Brusquement, je me dirige vers la grande porte vitrée. Je le sens qui me suit, de loin. M'éloigner des gens. Au bord de la piste, je m'assieds sur une pierre qui m'offre ses flancs abrupts. Une lumière orangée baigne les avions posés au sol, et, loin, beaucoup plus loin, la ville qui lentement s'éveille. Un mélange de chants d'oiseaux et de voix africaines parvient à mes oreilles. Je ne sais pas si c'est réel, mais je perçois même les battements d'un djembé, et l'envol magnifique des voix féminines qui l'accompagnent.
Alors sur ma joue je sens couler une goutte froide. Contemplation de ce que je suis en train de perdre.
Le soleil se lèvera-t-il sur la fin du monde ?