Altaïr
| Sujet: Fragment #343 - Jusqu'au dernier instant 14.04.08 2:53 | |
| Lundi 31 décembre 2007 à Dijon Je retourne vers le comptoir en essuyant mes yeux. Je ne m'attendais pas à revoir Lola comme ça, encore moins le bébé. Et qu'est-ce qui m'a pris de dire que je leur écrirai des lettres ? Il fallait bien que je trouve quelque chose à répondre certes, mais j'avais pourtant décidé de ne plus écrire... Lilian me regarde avec anxiété tandis que je reprends ma place et je le foudroie amicalement des yeux. Je n'aime pas qu'on fasse des choses dans mon dos, mais merci, petit frère. « Julian, tu te secoues un peu ? me lance Lulla. Faut que je retourne en bas moi, et les clients attendent, ici. La table du fond n'a toujours pas été servie depuis tout à l'heure et le monsieur là dans le coin aimerait bien qu'on lui amène son Baccardi... » Je n'ai jamais tellement aimé que l'on me réprimande, encore moins au travail, encore moins une fille de mon âge. Mais depuis quelques jours, je laisse faire. L'année 2007 aura été des plus étranges, mais enfin elle touche à son terme. On dirait même que tout s'acharne à la conclure dans un feu d'artifice de bizarreries : Londres, la Boîte, Florian et Lilian, et puis Piotr, hier. Je ne sais pas ce qui m'a pris d'imaginer qu'il avait tué le vieux Jack. Parfois je me crois vraiment dans un livre, une histoire à la con. Je me souviens encore de Jill, avec ses cheveux teints en bleu, me racontant la vérité, une vérité à des kilomètres de ce que j'avais interprété. Merde, est-ce que chaque parcelle de mon esprit est rongée par la folie ? Grand-mère, quel héritage m'as-tu cédé là ?... Soudain j'aperçois Alexandre. Sa silhouette sportive, ses cheveux bruns et courts, son sourire pétillant, et les trois petites taches de rousseur sur sa lèvre inférieure, comme sur celle de Laura. Il rejoint Lilian et Robin et les salue chaleureusement. Puis il se tourne vers moi. « Salut Julian, de retour de Londres, alors ? - Ouais, ça fait quelques jours. - Cool, j'aimerais bien y aller aussi, dit-il en allumant une cigarette avec son briquet. » Son Briquet. Un petit objet en métal, très ancien. Et je sais qu'il lui vient de Nathan par l'intermédiaire de Laura. Tiens, il faudra que j'envoie un message à celle-ci pour lui annoncer ma venue à Paris. « Tu pourras bientôt plus fumer ici, dis-je en souriant. Tu me montres ton Briquet ? » Alexandre expire un flot de fumée et me tend le petit objet, en fronçant les sourcils. Je l'ai entre mes doigts pour la deuxième fois, ce joli Briquet, avec trois petits points gravés dessus. C'est drôle, il y avait aussi des points gravés sur la Boîte, mais plus nombreux, et ils formaient un symbole, une sorte de V. Quel est le sens de tout ça Nathan ? On cherche le sens des choses, ou bien on cherche à le détruire ? Il faudrait savoir, Julian... Alexandre me reprend le Briquet, nerveux, et le glisse dans sa poche. L'objet lui est très précieux. Et le Briquet ne veut pas être détruit. Joàn est à côté de moi et passe sa main autour de mon cou. « Alors, tu fais quoi maintenant ? Tu lui reprends son machin et tu vas le balancer dans l'Ouche ? - Laisse-moi ! je crie en me dégageant de son bras. » On se retourne sur moi, étonné. « A qui tu parles, Julian ? » Joàn me sourit. « Tu ne veux pas qu'on sache que je suis là, hein ? Mais regarde, c'est comme dans un rêve : tu veux verser le thé dans cette tasse, mais tu ne veux pas, alors plus tu le verses, moins il y a de thé dans la tasse. Avec moi, c'est pareil, tu vas voir... » Et il commence à me caresser, à se frotter sensuellement contre moi. Merde, vous ne voyez pas ?! Regardez mes vêtements qui se froissent entre ses doigts, est-ce que ça n'est vraiment que le fruit de ma folie, une illusion des plus réussies ? Et le goût de ses lèvres, de sa salive ? Et ce durcissement dans mon pantalon, est-ce que ça n'est pas réel ? Je tente de repousser son étreinte, mais il se jette sur moi et je tombe à la renverse. Des gens me regardent sans comprendre, mais heureusement le brouhaha des conversations ne s'est pas estompé. Je me traine vers la sortie, vite, prendre l'air, fuir, il ne faut pas que quelqu'un me voie... Et dire que nous avons tout fait pour apprendre à nous parler sans remuer les lèvres, et ce salaud va tout casser... Je sors du Dionysos et Joàn est là, contre le mur, il m'attend. Il est nu et nous sommes dans ma chambre, non, une chambre, je ne la connais pas. Murmures en castillan au creux de mon oreille. Il commence à m'enlever ma chemise, bon dieu qu'il fait chaud, et putain ce que j'ai envie de toi là tout de suite sur ce lit moelleux, et des volutes de camphre et de santal s'élèvent autour de nous. La déesse Hathor nous regarde et me dit : « Tu m'as volé mon prisonnier. » J'ai aidé Fenrir à s'échapper de sa cage où tu le retenais prisonnier. Et le désir palpable se dresse comme un piège, le corps hiéroglyphe de Joàn qui se presse contre mon torse nu. « Julian ? » Alexandre, Lilian et Robin sont sortis et me regardent, effrayés. Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? Pourquoi vous me regardez comme ça ? A l'intérieur du bar, on crie, on se réjouit. Ce sont les douze coups de minuit. Je réalise alors que je suis torse nu contre le capot d'une voiture, ma chemise jetée sur le sol mouillé. Et je m'effondre par terre, la tête entre mes mains. Merde, ce cauchemar ne finira donc jamais ? Jusqu'à la fin, jusqu'au dernier instant. La vie est ce long rêve en rouge et noir. | |
|