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 Fragment #313 - Le salon de la vieille dame

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Altaïr

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MessageSujet: Fragment #313 - Le salon de la vieille dame   Fragment #313 - Le salon de la vieille dame Empty14.04.08 1:40

Vendredi 2 novembre 2007
à Dijon

Il y a un chat sur le muret. Il me fixe. Bizarre. Je pousse la porte d'entrée et entre dans la maisonnette. Ici tout est serein, tout repose dans la plus tranquille plénitude. Je traverse le couloir et me voici dans le salon, un salon de petite vieille comme tant d'autres.
« Chocolat chaud ? me demande-t-elle, assise sur son fauteuil, ses petites lunettes sur le nez, lisant le journal.
- Café, je réponds. »
Michelle se lève, pose le journal sur la table basse, ôte ses lunettes et les range à côté.
« Je vais te préparer ça, installe-toi. »
Je m'assieds sur un fauteuil moelleux tandis qu'elle sort de la pièce. C'est la première fois que je viens ici. Le calme reposant me surplombe, et le chat entré à ma suite me regarde désormais de plus près. Ce calme m'angoisse. Je sens que tout ici cherche à apaiser mon esprit en alerte, mais c'est impossible. Je ne suis pas comme ça, moi.
Michelle revient en portant un petit plateau laqué, sur lequel fument deux tasses bien rebondies, l'une contenant un café doré, l'autre une eau ambrée par le sachet de thé qui y baigne. Je regarde les mains de Michelle, ses gestes délicats, j'imagine les saveurs exquises de ces petites biscuits trempés dans un café délicieux, à cent lieux de l'horreur infecte que je me prépare chaque matin, et il me semble que je me trouve à Combray, loin d'ici, et que les madeleines attendent patiemment de déverser en moi l'infinie douceur du souvenir des années passées. Michelle me regarde avec la même bienveillance que son chat. Nous buvons en silence. La tasse de café me brûle le bout des doigts, et son arôme fumant vient lécher le bord de mes narines. Soudain un train passe. Nous ne sommes pas très loin de la gare et j'imagine qu'à la longue, cela doit être pénible.
« Parlez moi de Jack Kermorgan, je demande. »
Michelle se met à rire. D'un rire de petite vieille, plein de sincérité.
« On dirait un journaliste, me dit-elle, tu le fais très bien. »
Je souris. Si tu savais pauvre Michelle, quel comédien je suis. Je sais jouer à être ceux que je ne suis pas. Un peu comme toi Léo, pas vrai ?
« Merci, je réponds, j'aimerais bien être journaliste en plus.
- Eh bien pourquoi ne te lances-tu pas ?
- Heu... ben parce que j'ai arrêté les cours et que c'est dur de trouver du boulot avec un deug de Lettres Modernes, parce que je bosse déjà au Dionysos et... je sais pas, ça se fait pas comme ça quoi.
- Mais tu ne comptes pas rester serveur toute ta vie Julian, n'est-ce pas ? »
Je la dévisage un moment. Est-ce que -
« Jack avait un drôle de caractère, dit-elle en interrompant mes pensées. C'est une drôle d'histoire. Nous nous sommes rencontrés à Paris, lorsque nous faisions nos études. Nous avons découvert l'amour ensemble, figure toi. Et puis la vie nous a séparé, tu sais comment elle est, c'est elle qui décide. Il a arrêté l'Université pour retourner à Brest et il est devenu pêcheur, comme son père. Ca n'était pas facile à l'époque tu sais, de faire des études, de monter socialement, même avec toute la bonne volonté du monde. Certains ont réussi, mais la plupart sont restés à leur place. Peut-être que Jack aurait réussi s'il avait persévéré. Je n'avais pas arrêté de lui dire. Finalement j'ai compris que les gens font ce qu'ils ont à faire, et on a pas à les en empêcher. Les gens ne sont pas idiots tu sais, personne ne l'est. Les gens savent ce qu'ils font et il faut les laisser tranquilles. Alors je suis devenue institutrice, j'ai rencontré un autre homme et nous avons eu deux enfants, un garçon et une fille, nous nous sommes installés à Dijon dans cette petite maison. Louis a eu une fille mais ils ne se parlent plus, un peu comme moi avec la mienne, après qu'elle a eu ses deux garçons. Je suis une grand-mère chanceuse, n'est-ce pas ? »
Des larmes perlent sur les joues ridées de la vieille dame. Je voudrais la serrer dans mes bras comme ma propre grand-mère, mais je ne bouge pas.

Je repense aux paroles de Michelle.
Je repense à sa jeunesse.
Un train passe non loin de là.
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