Shéliak
| Sujet: Fragment #2 - Tout va bien 14.04.08 15:45 | |
| Dimanche 17 juin 2007 à Valenciennes « Allez ! Bouge ton cul, bordel ! Y’est deux heures et t’es encore vautré dans tes draps ! Tu fais honte à ta mère ! - Maman est morte. - On s’en fout ! Remues-toi ! » C’est la voix de mon père qui brise le cocon de mes rêves, ce matin. Enfin, ‘matin’ n’est peut-être pas le meilleur des mots : il est déjà quatorze heures, et, pour moi, c’est une nouvelle demi-journée qui s’évanouit. Elles s’enchaînent bien trop vite à mon goût ces derniers temps. Que je sois éveillé ou non, j’ai ce sentiment en moi qui me ronge, cette sensation intense que la mélodie de ma vie sonne un peu faux. Je plonge ma tête dans mon oreiller, et dehors, j’entends le bruit des moteurs qui filent sur l’avenue. Je roule dans mon lit en gesticulant et en m’étirant. Mes muscles se tendent, si fort, et je sens cette plaisante sensation de bien être déferler en moi. Tout va bien. La lumière pâle de l’extérieur parvient à m’éblouir quelques secondes avant que mes yeux ne s’y habituent. Les rideaux s’agitent sous le souffle du vent, ils dansent, fluides, au rythme des grincements de la fenêtre restée ouverte, et effleurent le mur avec douceur. Une nouvelle journée débute pour moi, mais je préférais sans conteste la chaleur agréable de mes rêves, cette sécurité d’un monde où je peux mourir et renaître sans cesse, où je peux vivre ces secondes d’éternités qui me font cruellement défaut dans ma vie réelle. Je m’assois sur le rebord du lit, frottant mon visage contre mes paumes, et je laisse les minutes s’égrainer, sans même penser. Le temps qui s’enfuit, inutile. Des secondes qui se meurent sans même cette conscience d’avoir vécu. « Grouille-toi ou j’t’en colle une ! Beugle la voix de mon père depuis le couloir. » Je me rends à la cuisine, toujours en caleçon. Le fond de l’air est chaud. Je me sers un grand verre de jus d’orange et j’extirpe quelques petits pains au chocolat de leur boîte de plastique. Assis, engloutissant avec appétit ce déjeuner peu commun, je regarde le ciel tacheté de ces nuages gris auréolés d’une lumière dorée qui s’effilent dans le ciel. Le vent fait danser la cime des arbres du jardin, le soleil trace de majestueuses ombres qui colorent l’herbe de multiples teintes de vert. La nature semble apaisée. Tout va bien. « Tu f’rais bien d’aller voir ton frère. C’est pas loin, Lille. Ça fait un moment qu’tu lui as pas rendu visite. » Hochement de tête. « Ça t’arracherai la gueule de m’dire bonjour, au moins ?! Reprend-il. » Nouveau hochement de tête. « Si je m’écoutais, j’te dérouillerais. » Il me fixe un instant de ses yeux noirs, il me fixe en laissant courir ses doigts rageurs contre ses paumes. Il attend, là, dans ce silence éloquent, que j’élève la voix, que je lui donne une simple raison de se défouler, mais je ne le ferai pas. Je sais les limites à ne pas dépasser. Je le connais bien mieux qu’il ne se connaît lui-même, je crois. Il me laisse enfin seul. Tout va bien. Je termine mon repas et je vais dans la salle de bain. Sur le rebord d’une étagère, mon téléphone s’illumine comme un diable. Qu’est-ce qu’il fait là ? J’ai encore oublié. Toujours ces pertes de mémoires… Des minutes mortes dans les méandres tortueux de ma conscience… 7 Appel(s) en Absence. De Blandine.
L’inquiétude. C’est bizarre cette petite chose. C’est un fourmillement qui démarre du ventre et qui tranche votre corps en deux pour remonter jusqu’au cœur, et, là, ça vous le comprime comme un puissant étau. Quelque chose dans la gorge, aussi, quelque chose d’assez gros pour vous faire suffoquer. On tremble, on s’embrouille l’esprit d’images atroces, de doutes, de peines, de douleurs sans fondement. Et tout ça, en l’espace d’une seule seconde. J’appelle mon répondeur. Un message, reçu à 01:43. J’entends une respiration. Sa respiration. Elle pleure. Il y a des sanglots. Elle murmure des mots que je ne comprends pas, déformés par sa voix terrifiée. Ça grésille. Beaucoup. C’est une atmosphère de panique qui s’enfuit du téléphone et mon inquiétude se transforme en une terreur qui transpire de tout mon être. Elle répète les mêmes mots. Toujours. Sans arrêt. Murmurés. Le micro frotte quelque chose. Sa joue peut-être ou le col de son chemisier. Elle tremble. J’imagine ses mains qui compriment l’appareil. Des larmes souillent son visage et enterrent son sourire… Ces mots. Embrumés de panique. Hachés. Etouffés dans ses sanglots. Mon cœur rate un battement lorsque je les comprends. Toujours les mêmes. Si simples. Si durs. « Aide-moi, je t’en prie, viens m’aider… » Blandine… Tout allait si bien. | |
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