Aldébaran
| Sujet: Fragment # 86 - La redoutable Divinité, la fatidique marraine, la nourrice empoisonneuse de tous les lunatiques 16.04.08 22:07 | |
| Dimanche 4 février 2007 à Chenôve La lune est pleine et couvre la maison d’une lumière froide. L’arbre vieux et presque mort tape un peu à la fenêtre de mes parents. Il les a réveillés la semaine dernière avec les bourrasques du vent. Le téléphone n’arrête plus de sonner. A n’importe quelle heure, parfois même en pleine nuit. Personne au bout du fil. Quand papa répond, parfois, il entend une respiration, sa complexion change un instant, puis ses lèvres ont une moue de colère – non, papa, pas ça. Je me rappelle quelques journées de mon enfance, sa main toujours en suspension au dessus de ma tête. Partout dans cette nuit qui tombe une lumière faiblarde et froide – mon amie Séléné – danse avec les ombres aux fenêtres. Dans ma chambre, que je n’ai pas pris la peine d’allumer, la boite de bois est encore entre mes mains, mes doigts caressant chacune de ses boiseries soignées. Mais il n’y a rien à voir, rien à sentir. Nous l’avions bien vu avec Julian. « C’est toi le loup-garou. » Cette phrase m’avait touché au plus profond. Comment savait-il ? C’est mon moi qu’il perçait à jour en un instant. Nathan. Son récent contact avec Nathan lui en avait appris plus, l’avait changé. Il cherchait. Il cherchait désespérément. Nathan, les autres, lui-même. Et cet instant de magie où j’ai pu le surmonter, mon corps contre le sien, ma peau contre sa peau, mes cuisses maintenant son corps plaqué contre le tapis. La beauté de ses traits dans la peur de l’instant, mais j’y ai aussi pu lire une détermination que, je crois, je n’avais jamais vu aussi forte, chez personne. Comme il m’a attiré cet instant, alors que quelques minutes auparavant j’étais dans ma chambre en train de pleurer sur notre sort à Jonathan et à moi. Mon visage s’est rapproché, couvrant Julian de mon ombre portée, celle dont j’ai peur parfois. Celle qui donne les coups quand je ne suis plus moi. Julian était prisonnier de cette ombre. Nos visages se sont rapprochés. Je pouvais voir chaque petite veinule, chaque imperfection de sa peau. Nos respirations haletantes ; comme tout cela m’excitait. La profondeur de ces yeux, qui me regardaient fixement de cette expression que j’associe souvent au désir. Ma bouche s’est rapprochée de la sienne. Enfin, j’allais pouvoir l’embrasser et chasser de son corps l’étincelle qui s’était mise entre nous quelques mois auparavant. Sans ce baiser je crois, rien ne sera réglé entre lui, Jon et moi, je me suis mis à penser. Au moment où mes lèvres approchaient les siennes pour atteindre la flamme, une force surhumaine s’empara de lui, me renversant sous sa force virile, sous son poids de Transformé. Il s’est approché de mon visage, inspectant mes traits dans une sorte de demi-transe et a dit : « C’est toi le loup-garou. » Il m’avait percé à jour. Puis il m’a présenté Arthur, un personnage du roman qu’il était en train d’écrire. J’avoue n’y avoir pas compris grand-chose, mais cela m’a fait peur, un peu. Il n’était pas lui-même quand il écrivait, il ne comprenait pas ce qu’il écrivait. Son personnage avait l’air de vivre par lui-même, se nourrissant de son créateur. Maintenant, je suis toujours sur mon lit, la boite de bois sous la lumière froide et je pense à Julian. Où est-il en ce moment ? Pourquoi a-t-il refusé ce baiser qui est nécessaire pour expulser le pus de ce mauvais triangle ? Sur mon bureau, au milieu des cours un peu négligés il est vrai, le bouquet de Jonathan m’attend toujours. Flétri, mort, les feuilles desséchées, les pétales tombés étalés en un cercle concentrique autour du pot. Il est temps que je retourne voir Jonathan, et que je lui pardonne. | |
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