Aldébaran
| Sujet: Fragment #108 - Debout 20.04.08 21:33 | |
| Dimanche 22 avril 2007 à Dijon La télé jette sur notre couple une luminescence bleutée. Je prends la main de Jonathan. Je m’en veux tant. Mes boyaux se tordent, ma gorge se serre. Je n’ai pas pu voter aujourd’hui. Je n’ai pas eu le courage de l’affrontement. Ma carte d’électeur est toujours à la maison, dans la cuisine. Ariane ne donnant plus de signe de vie, je n’ai pas eu loisir de lui demander d’aller la chercher pour moi. Où est-elle d’ailleurs ? Dans les bras de son Martin, dans un état de semi-transe, à une de ces soirées orgiaques à laquelle j’ai pu participer ? Dans quoi t’es-tu encore fourrée, mon Ariane ? Vas-tu pouvoir t’en sortir ? My dear beloved. My sibling, blood of my blood, flesh of my flesh. Les résultats s’affichent à l’écran. Sarkozy mène, avec 30% des voix. Serrement de ma gorge. Avons-nous encore une chance, dans ce monde sans pitié. Ou toute différence sera-t-elle égalisée. La couleur d’une peau lavée au karsher. Les sang-mêlé expatriés ; les homosexuels ghettoïsés. Dans quel monde vivons-nous ? Comment peut-on laisser passer la violence, l’instabilité incarnée régler des comptes que nous seuls pouvons abroger ? Nous avons laissé brèche à la violence, inventé l’insécurité, promu l’ostracisme. Comment cela est-il encore possible dans ce qu’on appelle encore aujourd’hui une démocratie ? Tant de questions se bousculent dans ma tête, tellement qu’elle me tourne. Je m’affaisse. Jon me demande ce qu’il m’arrive. Je ne réponds pas. Il prend peur, me parle de plus en plus rapidement, avec tant d’inquiétude dans la voix. Je l’entends s’affairer, me parler. Mais je ne peux lui répondre, tout est bloqué en moi. Les résultats des autres candidats enfin sont annoncés. Ségolène Royal parvient au second tour avec 26% des voix. Le sang revient vers mon visage; mes boyaux, tordus de douleur, se desserrent un peu. Ma gorge s’entrouvre pour laisser passer un peu d’air. Finalement l’espoir persiste. Tout n’est pas perdu. Il faut encore se battre contre le fascisme tentaculaire qui se répand. Nous devons nous mettre debout, peser de tout notre poids contre l’indéfectible. « Ca va Jed, qu’est-ce qui s’est passé ? - Je ne sais pas, je… j’ai… perdu contrôle un moment. - Tu es sur que ça va aller ? - Oui. Il faut juste que… je… je retrouve ma carte d’électeur. Je dois le faire ce second tour. » Pourrais-je encore vivre mon homosexualité sous Sarkozy ? Je ne pense pas. Nous allons devoir nous cacher. Je ne comprends toujours pas tous ces homos avec qui j’ai pu parler qui votaient Sarko. Ou sont passé leurs droits ? Pas de mariage, aucune reconnaissance. Ils voulaient voter pour quelqu’un qui les méprisait. Peut-être est-ce ça, être homo, la recherche de la différence, du regard de l’autre. La recherche de la position de dominé. Ramper sous les ordres de quelqu’un, sous l’insulte et l’amer. Peut-être une enfance trop belle nous fait-elle chercher la différence. Peut-être une enfance trop moche nous a-t-elle plongée dans cette différence. Je ne veux pas de ça. Ensemble, ma main contre sa taille, nous nous levons devant la luminescence bleutée de l’écran. Peau contre peau, debout, le couple d’hommes veut montrer à l’excité qu’il ne le laissera pas passer. | |
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