Fragment #48 - Je ne peux pas leur en vouloir

Je ferme rageusement le cahier sur lequel j'étais en train de griffonner. Je n'arrive pas à travailler. Est-ce à cause du clapotis de la pluie sur les carreaux de ma fenêtre ? Non... C'est autre chose. En fait, j'ai terriblement envie d'appeler Dimitri. Je joue avec le clapet de mon portable pendant quelques secondes, mais n'ose pas téléphoner. C'est étrange... En fait, je n'arrête pas de repenser à la soirée de la semaine dernière. Je relis le message que m'a envoyé Dimitri. « Ca te di d'allé o Dyonisos ce soir ? Bisous. » J'ai hésité au début, mais finalement je ne regrette pas. Il faut dire que je ne fais que bosser depuis que j'ai repris les cours, et ça m'a fait du bien de m'aérer un peu la tête. Et puis, je suis vraiment bien avec Dimitri. Pourtant, nous ne nous sommes pas reparlé depuis la semaine dernière. Je le trouve vraiment distant. Non. En fait c'est moi qui suis distante. Je me demande... « Déborah, à table ! » La voix de ma mère qui résonne dans l'escalier me force à mettre fin à cette discussion intérieure. Je me lève de la chaise sur laquelle je suis restée clouée toute la matinée, puis sors de la chambre. Une délicieuse odeur m'accueille à mon entrée dans la salle à manger. Je reconnaîtrais ce parfum entre mille... Poulet rôti. C'est tellement bon. Mon estomac me répond sur le champ par un gargouillement approbateur. Sans plus tarder, je prends place autour de la table, en compagnie de mes parents. Dehors, il pleut toujours. Mais qu'importe. Nous sommes au chaud ici. Je me sers un peu de salade. « Tu veux une cuisse, ou du blanc ? » me propose maman. « Hum... une cuisse, s'il te plaît. » Maman me fait un sourire et quelques secondes plus tard, la viande luisante et juteuse atterrit dans mon assiette.
Depuis que je suis sortie du coma, mes parents sont aux petits soins avec moi. Il me font la nourriture que je préfère, me demandent constamment si je vais bien... Ca peut paraître normal après ce qui m'est arrivé, mais quelque part, ça me gêne. J'ai toujours été très indépendante, j'aime faire les choses par moi même, sans l'aide de personne. Je ne sais pas si c'est bien, mais en tout cas, c'est comme ça que je suis. Mes parents le savent bien, mais depuis cet accident, ils ne peuvent s'empêcher de se faire du soucis pour moi. Mais je ne peux pas vraiment leur en vouloir.
« Déborah ? » J'avale le morceau de poulet que je suis en train de mastiquer avant de faire signe à mon père que suis prête à l'écouter. « Tu n'a pas bougé de ta chambre ce matin. On est dimanche, tu devrais en profiter pour te reposer un peu. » Et voilà, ça recommence. « On pense que tu travailles trop. » renchérit ma mère. « Le médecin a dit que tu étais encore fragile et travailler comme ça... Enfin, je ne pense pas que ce soit très bon. » Je soupire et pose ma fourchette.
« On en a déjà parlé non ? J'ai manqué un semestre de cours, comment voulez-vous que je rattrape mon retard si je ne travaille pas ?
- Pas au prix de ta santé ! » Mon père a crié si fort que ni ma mère ni moi n'osons prononcer le moindre mot. Un silence pesant s'installe dans la pièce, en même temps qu'une boule de larmes et de colère se forme dans ma gorge. Je quitte la table et pars m'enfermer dans ma chambre.