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 Fragment #78 - Noces de Porphyre

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Altaïr

Altaïr



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MessageSujet: Fragment #78 - Noces de Porphyre   Fragment #78 - Noces de Porphyre Empty09.04.08 20:18

Dimanche 10 septembre 2006
à Dijon

J’emplis mes poumons d’oxygène avant de franchir le seuil. Aujourd’hui, la plongée en apnée sera plus âpre que d’ordinaire. Pour fêter leurs Noces de Porphyre, à l’occasion de leurs trente-trois ans de mariage, Papa et Maman ont élargi le champ familial. Je salue mon oncle Joseph, le frère de Maman, et sa femme Anna-Maria, leurs filles Sandra, Clara et Lisa, mes trois belles cousines brunes et malicieuses, puis ma tante Claude, la sœur de Papa qui ne parle jamais, et son mari Maurice, avec sa moustache ridicule, et leurs deux fils, Maxime et Benjamin, mes cousins turbulents, enfin ma tante Jeanne, la deuxième sœur de Papa, et son mari Jacques, ainsi que ma cousine Bérénice, leur fille, et Léo, son petit frère. A l’écart, j’aperçois mon oncle Jean, qui m’adresse un clin d’œil complice sans s’approcher. Le salon du 148 avenue Victor Hugo semble bondé. Maman, furieuse, navigue entre la salle de séjour et la cuisine. Au passage, elle m’adresse un bonjour un peu sec. Je la rejoins dans la cuisine.
« Ca va Maman ?
- Ton frère ne viendra pas aujourd’hui, répond-elle d’un ton pincé. Ta belle-sœur le réquisitionne pour un repas de famille. »
Depuis quelques temps, je sens combien Maman est agacée par Elodie. Mieux vaut changer de sujet au plus vite ; on ne fête pas ses Noces de Porphyre tous les jours.
« Ca fait quoi alors Maman ? Trente-trois ans ?… »
Maman, soudain, s’immobilise.

La rivière se jette dans un petit lac toscan. C’est l’été. Sonorité cigale. Le torse du dieu-fleuve émerge des remous. De ses bras puissants, il capture le corps de la nymphe et la serre contre lui. Elle se débat, le dieu-fleuve la violente ; la caresse des remous embrasse leurs hanches.

« Apporte ça », me demande Maman en posant sur mes bras deux plateaux chargés d’amuses gueule. Je quitte la cuisine pour aller les déposer dans le salon, sur la table basse. Au passage j’entends ma tante Jeanne se plaindre de l’exiguïté du lieu dans l’oreille de son mari. L’oncle Maurice s’exclame alors :
« Alors le p’tit Julian, quand c’est qu’on nous la présente, sa copine ? »
Je me redresse, élève mon buste et le toise, ce misérable insecte qui me harangue de sa bassesse, et je le méprise, je pourrais l’écraser. Et si c’était un garçon ? Combien de cris, combien d’exclamations, résonneraient dans ce salon ? J’échange un regard avec Papa, qui fixe avec intensité les rideaux lourds et pourpres repliés de chaque côté de la fenêtre.
« Je n’en ai pas. »
Ma voix tremble un peu. Pourquoi, pourquoi faut-il que je sois si faible ? Je suis un dieu, merde ! Pourquoi ce frisson qui me courbe l’échine et fait ployer ma bouche ? Je regarde mes deux cousins, Maxime et Benjamin, rire bêtement dans leur coin. Le plus grand doit avoir à peu près mon âge, le second environ onze ans. Ils ont l’air si stupides… Lilian et moi échangeons un haussement de sourcils, puis un sourire discret. Nous n’avons jamais pu nous entendre avec eux.
« Faut dire, c’est un intellectuel, le Julian, poursuit l’oncle Maurice comme si cela ne suffisait pas. Y peut pas faire ses études et avoir une copine… »
Sale larve. J’ai tant de mépris pour toi et ta moustache. Tant de mépris pour ton idiotie congénitale et celle de tes deux abrutis de fils, pour le silence pincé de ta femme qui ne dit rien mais t’a épousé, te donnant ainsi l’illusion que tu valais quelque chose. Je connais l’amour, moi, je suis un dieu. Je sais que je suis plus beau, plus grand, plus intelligent que toi. Mais je suis faible, et ma bouche reste fermée, comme la tienne, tante Claude, et pourtant j’ai tant de mépris pour ton silence. Comme je vous déteste, liens de sang, chaînes de plomb pourpre de porphyre qui m’entravez. Mes trois cousines italiennes qui sont comme trois Grâces, et la sublime Bérénice, vous ne parlez pas, vous n’êtes pas comme eux. Et toi non plus Léo, mais nous n’avons rien à nous dire. Ces liens sont factices. Je ne vous connais pas. Et je ne veux pas vous connaître.
« C’est chiant, pas vrai ? »
L’oncle Jean me parle à l’oreille, tandis que dans le salon, les conversations reprennent dans un insupportable brouhaha de bêtise et d’hypocrisie. Je le regarde sans comprendre. Il ressemble beaucoup à Maman. Une beauté italienne et sauvage, mais dénuée de l’élégance divine du sang des Mahogany. Mon cher oncle, tu n’es pas un dieu. Mais tu le sais, tu as compris comme moi, tu le ressens avec vivacité, la douleur de ces chaînes. Combien il est difficile de s’insérer parmi eux, de se sentir avec eux, dans leur bulle, cette bulle qu’ils ne partagent pas avec nous, qu’ils – que nous ? Nous ne voulons pas être des vôtres, de ce petit clan artificiel. Le sang n’est rien, le sang est pourpre et moisi. Nous ne nous aimons pas. Je ne vous aime pas. Il n’y a pas de honte à le dire. Je ne vous aime pas.
Pourtant, j’ai honte.
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Fragment #78 - Noces de Porphyre
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