Fragment #14 - Neige au Soleil fondra-t-elle ?

Blanc. J’écrase les flocons sous mes bottes à chaque pas, et ça fait un bruit délicieux. Je suis en ville, avec Sarah.
Je me demande encore pourquoi je suis venu avec elle. Ensemble, nous nous baladons dans le centre enneigé de Dijon, recroquevillés devant le vent froid et chargé. Quelques heures auparavant, elle m’appelait pour me dire qu’elle allait en ville s’acheter des bottes d’hiver. Je l’ai accompagnée. Presque instinctivement.
Le décor blanc lumineux lui donne un teint frais et rose, et fait ressortir ses boucles blondes. J’ai presque l’illumination que j’avais en faisant sa connaissance, auparavant. Pourquoi mon âme s’oppose à cette charmante personne ? Elle semble avoir oublié nos conflits, et revivre, comme cela m’est arrivé peu de temps après le nouvel an. Nous parcourons les rues à la recherche d’un magasin de chaussures. Mais je ne cherche rien. Je ne pense qu’à elle, et à nous. J’ai peut-être été trop cruel avec elle. On est plus ensemble, alors pourquoi lui chercher le mal ? Je m’interroge sur ce que je viens de dire. Ça signifierai que l’amour engendre le mal ? Stupide. A moins d’être sado-maso. Suis-je sado-maso ?…
« Eh regarde, là ! » Sarah me montre la vitrine d’un magasin. Je me réveille. Nous sommes près de la place Grangier, dans l’angle d’une petite rue où un magasin propose de belles affaires. « Celles-là sont pas mal, tu trouves pas ? » Je suis du regard la direction que son doigt pointé indique : une paire de bottes en cuir à lanières. « Suis-je sado-maso ? », je lance, sans me rendre compte de ce que je dis. Elle éclate de rire. « Tu trouves qu’elle font sado-maso ? Alors elles te plaisent ! ». Je ricane aussi. Bien sûr elle plaisante, mais elle trouve un fond de sadisme et de masochisme en moi, apparemment. « Moui, elles me plaisent bien ! Allez on va voir ! ». On entre dans le magasin, elle essaye les bottes, qui semblent lui aller comme un gant. Après un échange de sourires, elle décide de les prendre, le prix étant convenable.
Nous sortons de l’entrepôt de boîtes à chaussures, et marchons en direction de la Place Grangier.
« Tu me trouves sadique ?, j’ose lui demander.
- Ben je rigole quand je dis ça, mais c’est vrai que j’ai l’impression que tu prends plaisir à certains trucs…
- Quels trucs ?
- Quand tu as décidé de me quitter par exemple, tu sais bien.
- Oui, évidemment… ». Un nœud me serre la gorge. Sarah est toujours aussi franche, aussi vive. Elle prend le taureau par les cornes, elle fonce. Moi, j’amortis. Je freine, je brouille les pistes. C’est peut-être aussi à cause de cette divergence radicale que j’ai décidé de la quitter. Elle est bouillonnante, en fusion. La neige fondrait presque à chacun de ses pas. Nous avons quelque chose en nous qui nous oppose, tels les deux pôles identiques d’un aimant. Aimant ? Nous croisons un couple. Les deux amoureux s’amusent avec la neige et rient aux éclats. Il y a un froid. Une petite toux sèche. Nous aurions pu être comme eux, encore en ce moment même. Ils nous regardent. On fait vieux jeu, à côté. C’est ce qu’ils doivent se dire. Je quitte Sarah au milieu de la rue Musette. Elle va déjeuner avec son copain.
Moi, j’ai renoncé aux sentiments, du moins c’est ce que je pense maintenant. Seul avec moi-même et le monde qui m’entoure, libre. Je me sens d’humeur pacifique, un sentiment étrange mêlant mélancolie et bonheur. Mon sourire luit derrière mes pointes noires. L’Eau n’a jamais été aussi calme. Elle est gelée.