Fragment #402 - Les anciens n'aiment pas le soleil

Aujourd'hui, c'est férié. « Tu devrais en profiter pour aller voir ton grand-père, surtout avec cette chaleur. » Je t'emmerde Goran, j'ai horreur qu'on me donne des conseils. Mais il suffit que tu me lances ce petit sourire pour que je fonde et cède devant ton bon sens. Alors me voilà dans le XVIe Arrondissement, en direction de l'appartement de Robert. Je prie en mon for intérieur pour ne pas y trouver Nathalie, bien que cela me semble inévitable. Je déteste cette fille, et je ne veux pas m'entendre reprocher que je ne suis pas assez proche des miens, étant donné que ma famille est un désastre de froideur et de rigidité du côté paternel. Robert a beau me faire de la peine, je n'oublie pas que tout vient de lui, à la base. Et le soleil me brûle consciencieusement la peau.
Les escaliers qui grincent. Le parquet qui craque. Voilà la porte, ma main qui frappe trois coups. Accélération cardiaque. On ouvre, et je me retrouve face à une chevelure blonde.
Eh merde.
Nathalie me dévisage un moment. Je soutiens son regard. Elle m'invite à entrer et referme la porte derrière moi. Ici, il fait une chaleur à crever. Normal, on est sous les toits, et c'est là que les rayons tapent le plus fort. Pauvre grand-père. Le voilà allongé sur son lit, un peu assoupi. Nathalie a placé un ventilateur à côté de lui et, après m'avoir fait entrer, elle retourne lui mouiller le front.
« Il va pas bien ? je demande, la voix étranglée.
- Les vieux ne transpirent pas comme nous. Il faut les hydrater régulièrement, sinon, c'est mauvais. »
Nous parlons sans animosité ni sympathie. Sans se regarder.
« Je peux faire quelque chose, peut être ? je propose distraitement.
- Eponge le, je vais fumer une clope cinq minutes. »
Elle me tend la serviette humide et me laisse sa place. Je tamponne le front de mon grand-père endormi avec le tissu frais. Il respire fort, la bouche entrouverte. Son grand âge me dégoûte une fois de plus.
A la fenêtre, Nathalie s'allume une cigarette, nerveusement, et recrache la fumée dehors.
« Tu es étudiant ? elle demande, les yeux plissés en direction de l'extérieur.
- Non, je bosse.
- Dans quoi ?
- McDonald's.
- Je vois. »
Quoi, qu'est-ce que tu vois connasse ? Que je suis un pauvre esclave de fast-food ? Je t'emmerde, ne me juge pas.
« Une petite amie ?
- Non, UN petit ami. »
Wow, ça, ça n'était pas prévu. Depuis quand est-ce que j'assume autant ma bisexualité ? Est-ce parce que j'ai enfin trouvé ma moitié ? Pour la première fois, Nathalie me regarde dans les yeux. Pour les détourner aussitôt.
« Ok, conclut-elle. »
Elle éteint sa cigarette et revient prendre ma place. Je me relève sans rien dire. Nathalie me tourne le dos et me lance :
« Tu peux partir. Je lui dirai que tu es passé. Bonne fin de journée. »
Alors je m'éclipse, et retourne auprès de Goran. Ce soir, nous danserons tous ensemble sur la piste de danse d'une boîte de nuit parisienne, et je ne penserai à rien.
J'ai hâte.