Fragment #56 – Pékin

Ratée. C'était la première marche de cet escalier que j'ai descendu et monté chaque jour de mon petit bout de vie depuis que je vis ici, chez Michelle. Depuis que ce petit bout de vie a pris des couleurs un peu moins sombres et un peu plus douces. Un peu plus silencieuses aussi. C'est l'harmonie. Ce truc règne sur chaque seconde qui passe entre ces murs. Sauf celle-ci. Ou alors l'habitude m'a bien trahi. C'est particulièrement violent au réveil de descendre les deux premières marches du même pied. Pour affronter les prochains épisodes avec une délicate pincée de présence physique supplémentaire, j'ai choisi de poser cette extrémité corporelle qui me sert traditionnellement de main humaine sur le mur de velours. C'est parti.
Depuis l'entresol je peux voir une enveloppe affalée d'ennui sur la table basse du salon. Elle semble encore en vie. J'entends son souffle. Il est explicitement glacial mais il est là. Ce n'est pas le genre de Michelle de ne pas ouvrir son courrier. Sauf si c'est une publicité abusivement mensongère, introduite par effraction dans la boîte-aux-lettres sur laquelle le chat a dormi tout hier. Une rude bouillotte à énergie solaire.
Ce n'est pas une publicité. Je saisis sérieusement l'objet pendant qu'il attend patiemment son heure. C'est adressé à « Mme MALVO Michelle ». Quelques centimètres plus loin, vers la gauche, il est écrit « Laboratoire Vogel, Analyses Médicales ». Je ne devrais pas m'inquiéter pour une petite dame aussi débordante d'amour de vivre que Michelle. Mais quand même. Glacial, le souffle.
Mon bol de chocolat trop chaud alternativement dans ma main droite puis dans ma gauche, je cherche ma si précieuse grand-mère dans chaque coin et recoin de sa demeure. Personne. Pas de chat non plus. Il doit être avec elle, ce serait normal. S'il est avec elle c'est peut-être aussi parce qu'il a compris que c'était grave. Cette lettre. Des résultats d'analyses. D'analyses de quoi. Un petit bilan, pour s'assurer que tout va bien et qu'elle peut s'entraîner comme une athlète de vingt ans et participer aux Jeux Olympiques de Pékin. Non. C'est trop dur d'être sûr. Je troque le chocolat contre mon portable.
Ambre, finalement ton numéro m'aura servi au moins une fois.