Spica
| Sujet: Fragment #21 - L'art de la fugue 19.05.08 15:04 | |
| Mardi 26 septembre 2006 à New York Une vie loin de tout, une vie d’exilée. Ce matin le métro était bondé comme jamais et j’ai eu du mal à tenir mon livre pour le lire. J’ai horreur de cela. Compressée entre un sac à dos et un type qui pue la transpiration à huit heures du matin et qui louche sur mon décolleté. L’air est lourd, étouffant. Le mélange de parfums de supermarché et de fragrances de luxe très odorantes me donne mal à la tête. Je ne suis pas bien. J’aimerais me trouver loin, plutôt que d’étouffer dans cette ville sans lumière, sans air et surtout sans vie. Je me plonge dans mon livre pour oublier ma condition. L’histoire de Patrick, l’anti-héros par excellence qui s’ennuie, qui voudrait changer. Son ami Arthur, il me fait penser à François dans sa perfection. Patrick souhaite le quitter mais il n’y a rien à lui reprocher, et quand il sent que je m’éloigne, il se fait encore plus gentil et je culpabilise. L’art de la Fugue… Je n’ai jamais eu le courage de fuguer. Quand j’avais quinze ans, après une violente dispute avec ma mère, j’ai préparé mon sac de voyage et j’ai quitté la maison après le petit déjeuner avec pour objectif de ne jamais revenir. Je me voyais comme ces héroïnes de roman, aventurière, mystérieuse. Après avoir passé la journée à déambuler dans la rue, je suis finalement rentré chez moi avant le dîner car je ne voulais pas faire de peine à ma mère. Il y a maintenant un mois que j’ai accepté de me marier avec François. Chaque jour, je regrette d’avoir dit oui surtout que, pour une fois, j’avais réussi à fuguer, à quitter la médiocrité de mes parents, de ma famille, de ma vie pour vivre comme dans une de ses séries américaines. Ma fugue a assez duré puisque j’ai accepté d’épouser François. L’heure du dîner a sonné et je ne voudrais froisser personne. Ce livre est en train de décrire ma vie, et je ne veux pas savoir comment ça se termine. Ca fait maintenant 10 stations que le livre est ouvert devant moi mais que je ne lis pas. Je regarde les mots, me demandant si je dois poursuivre, m’arrêter de lire. Concentrée, j’oublie le regard du vicieux, la foule oppressante, le malaise ambiant. Fuguer ? Rester ? Je suis aujourd’hui trop vieille pour fuguer, comment on appelle un adulte qui fugue ? Je range mon livre, fusille le mec du regard et descend du métro. Je suis descendue une station trop tôt mais je préfère marcher les dix rues qui me séparent du boulot. Je sors à Bryan Park, et décide de prendre le temps de m’asseoir sur l’un des bancs devant la bibliothèque. Le temps est bon. Le soleil brille et une légère brise d’été indien me murmure suavement à l’oreille « Welcome Back ». Je regarde autour de moi et revois le New York que j’aime. Je suis chez moi ici, dans mon monde. Je prends le temps de me réconcilier avec la ville et pour cela je me prends mon grand chocolat chaud avec lait écrémé et extra vanille du stand StarBuck du parc. Je vais arriver légèrement en retard au travail mais au moins je suis plus en état de travailler que tout a l’heure. Je passe près d’une poubelle, saisi mon livre et le jette. Moi qui ne lis d’habitude que des livres sans aucun intérêt, qu’est-ce qui m’a pris de prendre un livre qui me fait réfléchir, et puis je ne suis pas une anti-héroïne moi, je suis une star… celle de ma vie au moins. | |
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