Procyon
| Sujet: Fragment #97 – Immobile dans le noir 19.05.08 20:01 | |
| Lundi 19 mai 2008 à Plombières les Dijon 4h16. Je suis réveillé depuis plusieurs heures. Autant dire que je n'ai pas dormi. Melissa s'est endormie contre moi. Sa présence chaude me fait du bien. Assis dans le lit, elle est ma seule couverture. Je regarde, sur le mur en face, ma journée d'hier. Éprouvante, émotionnellement parlant. Je suis calme et je regarde les choses de loin. Avec tout l'écart possible, et un certain dédain pour ces images qui surgissent. Je préfère regarder, les voir qui dégorgent, plutôt que les garder coincées dans la gorge. J'ai quitté l'intervention avant la fin, aussi je n'ai pas eu de débriefing. Je n'ai pas fait appel à la cellule psychologique du SDIS, je pense pouvoir m'en passer. Je vois ma mère qui sanglote. Je vois Melissa qui m'embrasse. Je vois mon père la corde autour du cou. Je vois Melissa au téléphone, annulant la soirée prévue pour mon anniversaire. Je vois des larmes devant mes yeux. Elles rendent ma vision floue. Pourtant je le reconnais, il est étendu par terre. C'est lui. Papa. Voilà où sa dépression l'a conduit. Il n'a pas voulu aller se faire soigner. Et nous, on s'est peu à peu habitués à ce mal être, et on ne l'a pas vu sombrer de plus en plus. Alors il a choisit une manière à la mode, et surtout à la portée de tous, pour mettre fin à ses jours. Une pendaison incomplète. C'est si simple. Quelques somnifères, et quelques centimètres de corde suffisent. Pas besoin de poutre apparente. Pas besoin de savoir faire des nœuds coulants. Pas besoin de grande hauteur sous plafond. Pas besoin de l'avoir prévu avant de commencer. Pas besoin d'arme à feu, ni de poisons interdits, ni même de détergent pour nettoyer une fois qu'on a finit. Le mode d'emploi est simple. Assurez-vous d'être seul dans la pièce. Ouvrez une boîte de somnifères que vous aurez préalablement achetée dans une pharmacie. Quelques cachets suffisent. Avalez-les avec un peu d'alcool si vous avez besoin d'un peu de courage, ou pour profiter de vos derniers instants. Vous attacherez la corde au radiateur, ou à une poignée de porte après avoir fait un nœud autour de votre cou. Asseyez-vous confortablement, vous pouvez prendre un livre pour attendre le sommeil. Laissez les choses aller d'elles-mêmes. Quand le sommeil arrivera, la corde sera là pour éviter que votre tête ne vienne frapper le sol. Elle vous retiendra. Vous pouvez vous installer sans crainte d'échec. Vous ne vous réveillerez pas. C'est économique et à la portée de tous. C'est un dessert que l'on rate difficilement. Heureusement que peu de repas se terminent ainsi. Je me réveille, il est midi passé. Je déjeune seul. Ma mère est enfermée dans sa chambre, et je crois deviner que Melissa tente de la réconforter. C'est peine perdue d'avance, mais c'est très gentil de sa part de faire l'effort d'essayer. À dix-huit heures tapantes Laura et Thomas pénètrent dans la maison. C'est embrassade générale et silencieuse. Mon oiseau de feu a les yeux gonflés et les joues humides. Pierre a pris des congés il y a peu, et n'a pas pu se libérer comme il voulait. Il sera là pour l'enterrement. L'enterrement. Ce sera là la prochaine fois que je verrai mon père. Ce sera là la dernière fois que je verrai mon père. Le silence s'est emparé de la maison familiale. Melissa s'est mise aux fourneaux. Laura et moi mettons la table. Déposant une assiette entre les couverts que je viens de poser, elle se penche sur moi, et me glisse à l'oreille : « Je ne pense pas qu'elle soit vierge. » Je me redresse choqué qu'elle me dise ça. Surtout ici et maintenant. À un mètre de l'intéressée, et cinq de l'endroit où notre père s'est tué. J’esquisse rapidement un sourire et m'en vais chercher les autres. Nous nous mettons à table. On entendrait une mouche voler, si elles n'étaient pas, elles aussi, en deuil. Même les murs se taisent. Les fourchettes sont les seules à ne pas respecter le silence. Elles sont les seules à nous inviter à la vie. Je monte me coucher tôt. J’ai demandé à ma princesse de rentrer chez elle. Je préfère être seul cette nuit. Assis dans mon lit, nu comme un vers, je contemple le mur en face de moi. Je refais l'intervention. Je comprends que si Gérald m'a écarté de la zone de réanimation, en m'envoyant m'occuper de ma mère, c'est pour me protéger. Ils étaient aussi capables, sinon plus que moi, de le secourir. S'ils n'y sont pas parvenus, c'est qu'il n'y avait plus aucune chance. Et ça m'a évité de poser mes mains sur le corps froid de mon père. De mon père. Comment n'ai-je pas pu m'en douter ? Il n'allait pas bien, ça se voyait. Je m'endors pour toi papa.
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Alsciaukat
| Sujet: :) 19.05.08 20:46 | |
| Quelle horreur... j'avais pas vu ça sous cet angle, sous l'angle du "nous n'avons pas fait assez attention", et donc finalement du "nous sommes coupables", ou peu s'en faut... Enfin pour l'instant ça a l'air de rester raisonnable, mais pour Laura ça doit être dur à avaler... | |
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Altaïr
| Sujet: Re: Fragment #97 – Immobile dans le noir 19.05.08 21:11 | |
| Putain Pro... pour être franc je me suis dit qu'après le coup de maître d'Alsciau et la mort de Christelle et du bébé, tu n'arriverais pas à me faire pleurer, que ton style qui m'agace parfois ne me toucherait pas, que je me dirais "ah, je n'arrive pas à croire à son histoire".
Eh bien figure toi que là je suis scotché, littéralement abasourdi, et j'ai même pleuré à la fin. C'est tout simplement MAGNIFIQUE et poignant. Bravo à toi mon Procyon chéri. Bravo. | |
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Procyon
| Sujet: Re: Fragment #97 – Immobile dans le noir 20.05.08 13:37 | |
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| Sujet: Re: Fragment #97 – Immobile dans le noir | |
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