Fragment #108 – Je l'aime comme c'est pas permis

14h24. Chez mon italienne au sang chaud, j'ai à midi mangé, pour me donner du courage, de ces pâtes qu'elle nous avait cuisiné avec toutes les saveurs de son pays. De l'Italie en réalité, parce son pays, elle le sait autant que moi, c'est la France. Elle est née ici, et ses parents aussi. Mais elle aime à se souvenir et se vanter de ses racines latines, qui l'ensoleillent particulièrement en ce mois de juin pluvieux. Ce sont ses grands-parents qui ont émigrés en Bourgogne pour raison politique avec la montée du fascisme en Italie. Ils se sont réfugiés dans la région, et du coup j'ai rencontré cette chère montbaroise. Parfois les régimes totalitaires ont du bon.
Je me détends comme je peux. Je fais les cents pas. Je m'assois. Je me raconte des blagues. Je me relève. Je repense à ces derniers jours. Je regarde ma montre. J'ai encore vingt minutes d'avance. Je ne voulais pas être en retard, alors j'ai pris le bus tôt. Trop tôt.
Voilà la C3 bleue qui arrive. Une fille de Plombières et d'une vingtaine d'année que je connais de vue en descend après s'être garée proprement. Elle sourit. L'homme dans la voiture ne semble pas aussi enjoué. Je ne vois pas la tête du moniteur à l'arrière.
Il me fait signe de venir m'installer. C'est Joël à l'arrière. Le frère de Gérald.
« Monsieur Firent. » Dit-il en feignant l'interrogative. « Dès que vous pensez êtres près vous pouvez y aller. » Je recule le siège pour pouvoir installer correctement mes grandes jambes. J'incline le dossier, juste pour montrer que je sais faire. Je stresse et malgré les gros nuages et le vent je commence à avoir chaud. Très chaud. Je règle mes trois rétroviseurs. J'enclenche ma ceinture de sécurité. Je crois que je n'ai jamais pris autant de temps pour m'installer. Je vérifie que le frein à main est bien enclenché, et je tourne la clé. Le moteur se met en marche. Pour l'instant je dois me dire que tout se passe bien. Je regarde à droite, à gauche. Plusieurs fois, tout en sachant que dans cette impasse de zone industrielle il n'y a jamais personne à part les auto-écoles. Et je suis justement dans la voiture, prêt à passer le permis.
L'heure de conduite que j'ai prise hier pour me rassurer n'a pas eu l'effet escompté. J'ai mélangé les pédales à un moment, du coup au lieu de freiner j'ai accéléré. Chose que je n'avais, je crois, jamais fait auparavant. Le stress.
Mes doigts tremblent un peu sur le volant.
Vous prendrez à droite dès que possible.
Dès que possible. Dès que possible. Il est où le piège ? Je ne le vois pas. Je fais mes contrôles, je mets mon clignotant. Il v'a m'arrêter je le sens. Non on a tourné sans qu'il ne dise rien.
Vous prendrez direction Dole.
Direction Dole. Il est marrant lui, il n'y a pas de panneaux. Je les aurais loupés. Zut. Ah, non en voilà. Ok c'est à droite. Il faut prendre la rocade. Il ne dit rien, je dois être dans la bonne direction.
J'accélère franchement pour m'insérer. Je regarde en arrière. Il y a bien une voiture blanche, mais si j'accélère suffisamment j'ai le temps de m'insérer sur la rocade avant qu'elle n'arrive. J'appuie un peu plus fort sur la pédale. C'est bon je suis rentré.
Cet être impassible à côté de moi me terrifie. Il a tous les pouvoirs. Et moi je lui obéis. Il ne dit rien, il tourne juste la tête de temps à autre dans ma direction.
Surveillez votre allure.
Mince 118, ici c'est 110. Bon je me concentre de nouveau. J'essaie de ne pas sentir mes veines battre mes tempes, et mes doigts crisper de plus en plus fort le volant.

Vous allez faire un créneau derrière la voiture verte si vous le pouvez.
Bon il y a de la place, je devrais y arriver. Contrôles. Clignotant. Marche arrière. Je tourne la tête. Zut j'ai contrebraqué trop tôt. Re-contrôles. Re-clignotant. Marche avant. Je me mets en place. Et je recommence. Ouf cette fois ci c'est bon. Allez, il ne reste plus beaucoup de temps à tenir sans erreurs éliminatoires. Je peux encore sauver les meubles, puisque même si je m'y suis pris en deux fois, tout a été fait en sécurité.
Je descends de la voiture devant le centre d'examen. Il n'a toujours rien dit. Un homme d'une quarantaine d'année aux allures polonaises attendait ma place dans la voiture. La C3 repart. Je suis seul sur le trottoir. Je marche vers l'arrêt de bus. Le stress retombe. Pourtant je doute.
Atchoum !
Je monte dans le bus direction le campus et l'appart de ma chère et tendre.