Fragment #7 - Après les nuages

Cette discussion aérienne était curieuse. J’avoue ne plus me souvenir pourquoi nous t’avons évoquée. Sophie… J’ai souvent culpabilisé de ton départ. L’été précédant ta disparition, nous avions joué dans l’eau. Sur la plage, mes onze ans me rendaient stupide et fier de moi ; on jouait à se couler. À se noyer. Joël est arrivé, m’a flanqué une claque. Mes onze ans me rendaient stupide et fier de moi, et je ne comprenais pas qu’à cause de moi tu restais trop longtemps sous l’eau, et que tu finissais par fatiguer. Longtemps après, encore, assise sur ta serviette, tu reprenais ton souffle, c’était difficile. Seize ans ! Cinq de plus que ton frère, et pourtant plus fragile. J’ai eu peur de te noyer cet été-là, sur cette plage. Je l’ai compris, j’ai compris que je craignais t’avoir noyée.
L’été suivant tu étais morte. C’était donc de ma faute. On dit que les enfants sont sots, mais ils comprennent bien plus de choses. Moi, j’avais compris que tu étais morte noyée, par ma faute.
Et je n’ai jamais revu ton frère. J’ai pourtant toujours le mien aujourd’hui, cet abruti, mais plus le tien. Si je pouvais le retrouver, le rencontrer quelque part… Si je pouvais un jour demander l’heure à quelqu’un, échanger quelques mots, le bousculer, lui effleurer le genou par mégarde, n’importe où, dans un bus ou ailleurs, et comprendre après quelques mots que c’est lui… Comprendre que nous parlons de la même chose, que nous parlons de toi, Sophie, que personne ne t’a oubliée…
Mais ce genre de choses n’arrive pas, n’arrivera pas. Et pourtant j’espère ! Je continue à imaginer que cela arrivera, qu’un jour en rencontrant un inconnu, les quelques phrases qu’il prononcera me feront dire « te voilà !».