Adhara
| Sujet: Fragment #8 - La rencontre 10.06.08 3:48 | |
| Lundi 9 juin 2008 à Paris « Une chose dont on ne parle pas n'a jamais existé. C'est l'expression seule qui donne la réalité aux choses. » (Oscar Wilde)
Les souvenirs des jours précédents me hantent toujours, alors que je marche dans cette rue; et sans doute par leur faute, je rentre dans cette église sans savoir, du reste, ce que je peux y faire, comme si le fait d’y pénétrer pouvait subitement, sans préméditation, donner sens à mes souvenirs de la semaine, à Sophie et au reste.
Les églises parisiennes ont ce côté sympathique qu’elles ressemblent à toute église de province, et diffèrent en cela de tout autre édifice qui, d’ordinaire, est tout autre à Paris. Mais dans celle-ci quelque chose change, en la personne du prêtre. Grand, souriant, mangé par son sermon, habité par ses paroles, elles-mêmes bues par ses fidèles. Les mains bougent, les doigts s’écartent, font des tours, reviennent, ressemblent à ces danseuses de l’Opéra qui après mille tours se rassemblent en cercle autour d’une maîtresse invisible. Rien ne le perturbe, du moins ne le perturbait jusqu’à maintenant. La voix ramollit, le bras retombe, l’œil s’agite, regarde vers le fond, dans ma direction. Les hommes sont si faibles qu’on peut sans dire mot, sans frémir, comprendre la moindre sensation qu’on leur inspire, sous réserve de les écouter et de les observer. Le prêtre si fort, si mûr dans ces cinquante ans, si assuré dans sa soutane, n’est soudain plus si ferme, n’a plus son âge, et n’est plus vêtu de rien. Sans doute qu’on pourrait, moi aussi, me démasquer si on me transportait soudain à la tribune, un instant auparavant, et qu’après avoir écouté mon discours sur l’amour du prochain et le péché de Judas, on puisse ensuite m’observer frémir à l’apparition, au fond du chœur, par la porte de la rue, d’un homme mûr, si élégant, si sage et d’apparence si solide.
Les fidèles vidant l’église, et créant un brouhaha soudain et éphémère, ont l’avantage certain de me laisser seul face à cet homme, qui déjà n’est plus prêtre, et déjà s’est mentalement dévêtu, pour revêtir sa tenue originelle et s’offrir à moi. Et l’homme que j’avais deviné trembler à ma vue, que j’avais senti devenir autre en devinant nos chemins arrivés au carrefour, devient dès lors l’homme que je compte aimer; celui qui déjà m’emmène au presbytère, sans un mot, par les seuls regards, me frôle la main dans l’escalier avant de, doucement, défaire les liens de mon manteau, de mes autres vêtements et des siens, pour me laisser découvrir dans un râle le ciel superbe de Toscane des aquarelles de sa chambre.
Dernière édition par Adhara le 10.06.08 12:30, édité 1 fois | |
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Procyon
| Sujet: Re: Fragment #8 - La rencontre 10.06.08 7:51 | |
| Preum'z
Je ne sais pas trop quoi en penser... je relis pour me faire une vrraie idée! | |
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Alsciaukat
| Sujet: :) 10.06.08 15:19 | |
| Euh wao il débauche un prêtre '_' C'est rigolo ce contraste entre la forme extrêmement poétique et jolie du frag, toute douce, et le contenu, finalement. | |
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Altaïr
| Sujet: Re: Fragment #8 - La rencontre 10.06.08 17:31 | |
| Extraordinairement proustien et bien écrit, j'ai adoré. Et non, je trouve que le fond et la forme se marient parfaitement. Le ton est intelligent, le propos l'est également... Je n'y vois ni douceur ni rudesse, mais une réflexion plus que pertinente :) Encore ! | |
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Wezen
| Sujet: Re: Fragment #8 - La rencontre 11.06.08 19:36 | |
| Une très belle pudeur, un fragment doux. J'aime beaucoup. | |
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| Sujet: Re: Fragment #8 - La rencontre | |
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