Fragment #153 - Digressions immobilières

« Non. »
Mon vieux pervers de proprio me regarde droit dans les yeux.
« Ecoutez, Monsieur Mizri, je gagne à présent largement de quoi vous payer un loyer de façon, disons… Conventionnelle.
- Ma petite, voyons, ne sois pas bête. L’argent, je m’en fous. J’en ai plus que nécessaire. Ce que je veux, c’est pouvoir tirer mon coup régulièrement. »
Sale con. La colère me bat aux tempes. Je me lève brusquement.
« Vous risquez de perdre bien plus que moi, à ce petit jeu.
- A ta place, chérie, je n’en serais pas aussi sûr. Si tu veux payer ton loyer comme tout le monde, trouve-toi des cautionnaires et un autre appartement. Sinon, on ne change rien à nos rendez-vous. »
Je sais bien que je suis trop faible contre lui ; que je ne dois pas faire la conne sinon je risque de perdre mon appart’ sans possibilité d’en trouver un autre. Il serait même capable de prévenir tous les proprios de la ville que je ne suis pas une bonne locataire.
Je finis mon verre, et, essayant de ne pas perdre la face, lui lance :
« Réfléchissez-y. Je vais y penser de mon côté. Je vous tiendrai au courant. »
Il sourit genre « C’est bien, petite, tu es raisonnable ».
J’attrape mon sac qui gît à terre, claque la porte.

« Tu devrais penser à changer d’appart’ »
Elle a les yeux rivés au plafond d’où pendent des toiles d’araignées.
« Je peux savoir ce que tu lui trouves, à mon appart’ ?
- Bah rien, mais maintenant que t’as les moyens, tu pourrais quitter cet immeuble glauque et cet appartement minuscule.
- Peut-être que je m’y plais, moi, dans mon appartement minuscule, dans cet immeuble glauque.
- Mouais. Enfin bon, j’dis ça, j’dis rien, hein. »
Et je me demande comment je pourrais un jour partir d’ici. Des murs suinte ma vie depuis que je suis arrivée à Dijon. La fenêtre hurle Son nom, la porte prend parfois la forme de Romain, le lit se souvient de ma crise pendant laquelle je n’avais même plus la force de marcher, ramenant à moi l’image de Charlotte ; et l’adresse, chantante, me parle de Nathan, de Dakar, de Madrid, de mes petites sœurs, de Marco.
Et tant d’autres.
Je crois que je n’en serais pas capable.