Fragment #140 – Perdu

11h56. Nous nous sommes séparés Simon, Lilian et moi, il y a bientôt trois heures de cela. On ratisse à nouveau la ville. On n'épargne aucun pont, aucun parc, aucune rue. Rien ne doit nous échapper. Je passe sur la Seine pour la septième fois depuis ce matin. Je m'arrête au milieu pour fumer une clope. Je me suis remis à fumer avec le départ de Melissa, et mon arrivée à Paris. Je la savoure lentement, profitant par la même occasion du soleil déjà haut dans le ciel. Mais qu'est-ce que .?. Je cours jusqu'au bout du pont et descends dès que possible. Je l'ai vu. Sous le pont. Je l'ai vu. J'ai vu ses pieds dépasser du carton, pas une poupée de chiffon mais un jeune garçon. Je m'élance. Je l'ai vu en bas. Je cours de plus en plus vite. Je l'ai vu de mes propres yeux. Julian. Je me stoppe net devant la maison de carton. Ce n'est pas Julian. C'est un jeune homme comme lui ; même carrure, même cheveux, mais un nez différent, des yeux plus fins, et une main en sang. En sang. Au lieu de m'excuser de l'avoir dérangé, je m'approche de lui et lui propose mon aide.
« Je ne parler pas trop français.
- Qu'est-ce qui vous est arrivé ? »
En posant la question je sors déjà ma paire de gants, mes compresses et mon désinfectant.
« Moi Bucarest, mais pas maison ici. Vous pas dire police moi ici. Please.
- Ne vous inquiétez pas, mais votre main ? Qu'est ce qu'il y a eu ? »
Il me mime la souris, le rat plutôt, qui l'a mordu. Je fais de mon mieux avec ce que j'ai sur moi, mais il faut qu'il voie quelqu'un. Surtout si c'est un rat qui l'a mordu.
Je le décide à grand peine de m'accompagner dans une pharmacie. Là je le laisse dans des mains plus expertes et me dépêche pour aller retrouver Lilian. Il m'attend avec impatience et ne pouvait pas me joindre puisqu'il n'a plus de crédit. Ce périple commence à nous user de partout.
Nous retournons rue de la Folie Méricourt. Simon nous y rejoint à 13h30. Il n'a rien trouvé dans aucun des hôpitaux du centre ville. Cet après-midi nous étendrons nos recherches aux cliniques un peu plus éloignées.
Je repense à cet adolescent perdu dans Paris. Ce roumain, obligé de vivre dans la rue. Et Julian que fait-il ? Est-il lui aussi quelque part dans la rue. Je commence vraiment à me faire du souci. Où peut-il bien dormir ? Nul hôpital, clinique ou centre d'hébergement ne l'a vu de tout le mois qui vient de s'écouler. Lilian pleure aux toilettes. Et si Julian lui aussi devait chaque soir chercher un pont sous lequel s'abriter ? Quel avenir dans les rues de Paris, et surtout combien de chances de survivre longtemps ?
Quand Laura rentre, je la serre fort contre moi. Longtemps. Je mesure la chance que j'ai de l'avoir près de moi. Ma Laura.