Fragment #10 - Game Over

Je reste immobile à distance de cette porte en bois. Je n’ai pas envie d’entrer. Pourtant, ce n’est pas comme si j’avais vraiment le choix. J’ai été appelée. J’attends donc les quelques minutes restantes avant le rendez vous.
« Angela Sélim, veuillez vous présenter aujourd’hui même à mon bureau à 14h30 tapante, c’est important ».
Voilà le fameux mail que j’ai reçu ce matin. Un mail de mon boss, c’est rare. Ca ne doit certainement pas être pour une promotion. Quand un supérieur nous convoque, ce n’est jamais bon signe. Mon estomac se noue rien qu’en imaginant toutes les probabilités de mauvaises nouvelles qu’il pourrait m’annoncer. Et si je suis virée ? Je n’ose même pas l’imaginer, adieu les cours, adieu l’appart bien placé, adieu la voiture dont les frais me bouffent un quart de mon salaire. Adieu la belle vie. Et bonjour mademoiselle la chercheuse d’emploi. La mine déconfite, j’observe les clients de l’hôtel passant et repassant dans le hall d’entrée. De loin, ma collègue a l’air de bonne humeur, pour une fois qu’elle ne tire pas une tronche jusque par terre. Coincée du cul. Je la hais. On dirait presque qu’elle est heureuse de ma convocation. Un pensée m’effleure l’esprit, et si c’était à cause d’elle ? A cause de mon retard de la dernière fois. Elle n’aurait tout de même pas eu le culot d’aller me vendre au boss ? Je l’observe, et plus je la regarde plus je me dis que si. Que c’est à cause d’elle que j’ai un rendez vous avec le diable. Bitch. Elle me regarde et me lance un sourire narquois. C’est bien elle, la responsable de cette missive. Elle veut la guerre, elle l’aura !
Il est l’heure, je m’approche de la porte et tape deux coups. Je respire, j’inspire, calmement.
« Bonjour mademoiselle Sélim ! Heureux de vous voir. »
Tiens ? Il a l’air de bonne humeur. Le doute s’empare de moi, que me veut-il au juste ?
« Prenez place, je vous en prie. »
Je m’exécute. Il me parle de tout et de rien. Et cette façon de tourner autour du pot commence à m’exaspérer. Je ravale mon sourire stressé pour en adopter un impatient. J’ai presque envie de regarder ma montre. Tant pis, je saisis l’opportunité d’une fin de phrase et je tente un « Si je puis me permettre, quelle est la raison précise de ma convocation ? » Son visage devient grave. Je le savais, je vais être virée. A cause de six misérables minutes de retard. Bitch. Alors dans un ultime espoir de sauver ma tête de la guillotine, avant même qu’il ait le temps de me répondre, je lui dis :
« Ecoutez, si c’est à cause de mon retard de six minutes, je m’en excuse mais voyez vous j’ai reçu un appel important et….
- Non, non, non Angela, ce n’est pas pour cette raison. Loin de là. J’ai toutefois eu vent de cet évènement mais il n’est d’aucune gravité, vous faites bien votre travail me semble t-il, alors ça peut arriver à tout le monde, un petit retard.
- Ah… heu… Merci pour votre clémence mais…
- Je voulais savoir comment vous alliez depuis votre malaise dans les escaliers ?
- Ah c’était vous ?
- Oui (rires).»
Je me mets à lui raconter pour finalement dévier vers d’autres sujets, je ne vois pas le temps passer. Il est sympa le boss tout compte fait.
« Merci en tout cas, bonne journée à vous, oui hahaha, Merci, au revoir » Je referme la porte derrière moi, mes lèvres affichant une joie certaine de cette entrevue des plus agréables.
Ma collègue me regarde d’un air mécontent. Bitch Game Over.