Fragment #8 - Traumatisme

J'ai couru. Dans les rues de la capitale enfiévrée, au milieu des foules de jeunes gens en soirée, qui fumaient et buvaient et riaient, et ne se doutaient pas de ce que je venais de vivre. Je me sentais minuscule au milieu de ces jambes à perte de vue, de ces corps déhanchés qui s'accrochent comme ils peuvent à cette foutue flûte de champagne, pour ne pas tomber.
J'ai erré dans le métro, hagarde, comme une folle. J'ai regardé les gens sans les voir, et je ne me voyais pas dans leur regard, car j'essayais de m'arracher à ces images, ces maudites images dans ma tête, et le goût de l'intimité de ce porc sur ma langue, et ses gémissements, et son rire, et ses hurlements quand j'ai senti mes dents se resserrer, d'un coup sec et violent, et une nausée m'a rempli la gorge, mais je n'ai pas vomi. Voilà ce qui arrive, ma grande, quand on veut se débrouiller toute seule. Si tu avais demandé de l'aide, on t'aurait dit « c'est louche Laura, ne va pas vers ce type, va dans ton école ». Mais non. Il a fallu que je fasse l'idiote, il a fallu que je veuille une fois encore épater la galerie, ma galerie. Maintenant, c'est sûrement trop tard pour intégrer la FEMIS, et je ne suis même pas réinscrite en fac. Merde, merde, merde, MERDE ! Je pète les plombs là, je n'ai plus rien à quoi me raccrocher, je suis complètement déconnectée, un peu saoule, et je prie ce connard de bon dieu pour qu'il me fasse remonter le temps, pour que tout ça ne se soit pas passé. Papa, toi qui est là-haut, j'espère de tout coeur que tu n'as rien vu... Voilà la nausée qui revient, imbibée de honte. Calme-toi Laura, calme-toi. Hors de question que tu vomisses devant ces gens. Tiens, regarde, voilà le métro qui arrive. Monte à bord, assied toi sur un strapontin. Je prends mon téléphone pour appeler Simon, et je découvre un texto de mon frère, Alex, qui me dit qu'il sera à Paris demain -enfin, aujourd'hui- en soirée. Re-merde. Alex qui débarque pour sa formation de pompier, j'avais complètement oublié. Qu'est-ce que je fais, alors ? J'appelle Alex ? Non, il est tard, il doit probablement dormir. Simon alors ? Non, c'est dingue, je ne saurais pas quoi lui dire. Mes doigts font défiler les contacts de mon répertoire sur le petit écran. Je m'arrête sur un prénom.
Damien.