Fragment #23 - Dis-moi tout

Les gens d'ici sont complètement différents de ceux que je connais à Dijon. Il y a une chaleur dans leur façon d'être, parfois agréable, parfois inquiétante, qui semble inaltérable. Chez moi, on cultive davantage la froideur. Je dis pas que c'est bien ou mal. Ca a ses avantages et ses inconvénients, d'un côté comme de l'autre.
J'aide Charly à ranger sa maison, vu qu'il a envoyé son assistant, Nathan, un petit gars ténébreux que j'aurais bien vu servir dans mon bar tellement il est étrange, en vadrouille. Il dit que ça vaut mieux, qu'il voudrait pas qu'ils le retrouvent.
"Mais bon sang Charly, c'est qui ces "ils" ?
- Une organisation. Ils veulent ma peau.
- Mais c'est quoi comme organisation ? Et pourquoi ils voudraient ta peau ?
- C'est une sorte de société secrète, ou de secte, si tu préfères. Elle s'appelle l'Enfer. Autrefois j'ai réussi à l'infiltrer et maintenant ils ont peur que je balance des info sur eux. M'enfin tu sais Louis c'est pas évident de te raconter ça comme ça.
- J'ai envie de savoir. Tu vois, je suis resté. C'est bien la preuve que ça m'intéresse, non ?
- Pourquoi ça t'intéresse maintenant, après toutes ces années ?
- Parce que, c'est comme ça."
Parce que ton coup de fil m'a surpris. Parce que j'ai pris conscience du fait que tu pouvais mourir, papa, et que je voudrais pas être passé à côté d'un truc important, du truc qui aurait donné du sens à ta vie. Je veux comprendre pourquoi tu es ce que tu es, et pour ça, il faut que je mette ma rancœur de côté. J'ai passé l'âge de t'en vouloir comme un gosse. Ma colère, je peux lui dire d'aller se faire voir, si je veux. Dis-moi tout.
"Quand on était jeunes, il reprend, on a formé un groupe avec des amis, qu'on appelait le "Clan". Ensemble, on essayait de résoudre des énigmes existentielles qui nous tourmentaient, tu vois, des trucs du genre "qu'est-ce qu'on fait-là", "d'où on vient", "quel est notre destin". On était jeunes, quoi.
- Je vois.
- On a lancé une sorte de journal commun qu'on écrivait tous ensembles. Enfin, "écrire", c'est un grand mot. Certains d'entre nous étaient plutôt attirés par la photo, le dessin, la peinture, alors chacun y mettait son grain de sel comme il voulait.
- Ca devait être sympa.
- Ca l'était, vraiment. Tiens, ça me donne envie de fumer, tu veux une cigarette ?
- Non merci, je te laisse continuer."
Charly s'allume une cigarette, inspire une grande bouffée, et continue son récit :
"Les personnages de notre journal étaient en quête de quatre-vingt huit reliques, des objets anciens auxquels ils attribuaient un pouvoir étrange. Une fois réunis, les reliques devaient ouvrir les portes d'un monde souterrain, la mystérieuse Agartha.
- L'Agartha ? Putain Charly, qu'est-ce que tu racontes, là ?
- Laisse-moi finir, maintenant que j'ai commencé.
- Ok.
- Donc, on s'est rendu compte qu'il y avait un truc bizarre, une sorte de lien entre ce qu'on écrivait et le monde réel.
- M'embarque pas là-dedans Charly, j'aime pas ça, tu le sais.
- Tu veux savoir ou pas ?
- J'aime pas quand ça devient mystique.
- C'est pas mystique, Louis. C'est de l'art. C'est de la création que tout arrive. La vie, le sens, le destin. Tout. J'étais obsédé par notre histoire, et j'ai décidé de rassembler les quatre-vingt huit reliques.
- Et tu as réussi ?
- Oui.
- Et tu as ouvert une porte sur ton monde souterrain ?
- C'est là que ça se complique. L'Enfer est né à cette époque et a commencé à s'intéresser à notre journal, à nos écrits. Ca leur parlait, bizarrement. Quand on a appris ça, j'ai réussi à infiltrer leur QG pour voir à qui j'avais à faire, et ils m'ont attrapé.
- Et qu'est-ce qu'ils t'ont fait ?
- Crois-moi Louis, ça tu préfères pas le savoir.
- Quoi ? Ils t'ont torturé ?
- Ils se sont mis en tête qu'ils devaient mettre la main sur les quatre-vingt huit reliques. Ils voulaient ouvrir la porte eux-mêmes.
- Alors ?"
Charly écrase sa cigarette dans un cendrier et me lance un regard pénétrant sous ses sourcils froncés.
"Alors on a décidé de disperser les reliques, pour qu'ils puissent jamais les récupérer."