Fragment #89 - Claire et une vie normale

Je repense à samedi. A ce que j'ai fait. A Laura. Et je ne peux m'empêcher de me sentir coupable. J'ai l'impression d'avoir trompé Sofia. Je n'avais jamais ressenti ça avant. Ni avec Suzanne, ni avec Julie. Je me demande ce qui se passe. Pourquoi me sentir coupable ? Je n'ai rien fait. Sofia n'est plus là. Elle m'a dit de refaire ma vie. Je ne l'ai pas fait.
Claire rentre dans ma chambre. Elle reste un petit moment dans l'encadrement de la porte. Puis elle vient s'asseoir à côté de moi sur le lit. Elle ne dit rien, regarde au dessus du lit les quelques photos de Sofia. Elle en montre une du doigt.
« C'est ma préférée celle-là. Je me souviens quand tu l'as prise. Elle venait de recouper ses cheveux. Et c'était trop beau de voir ta tête au moment où elle t'a montré. »
En effet, c'était en février deux mille six. J'avais rejoint Sofia et Claire sur la Grand'Place. Il faisait froid, mais le ciel était bleu. Une belle journée d'hiver comme on en connaît si peu dans le Nord. Sofia avait mis un bonnet sur la tête, alors qu'elle n'en portait jamais. Alors que je lui en faisais la réflexion, elle avait enlevé le bonnet et je découvrais sa nouvelle coiffure. Elle les avait coupé très court. Juste une longue mèche partait du côté droit de son visage, jusque derrière, de plus en plus courte.
« On voyait tout de suite dans tes yeux que tu aimais. Que tu l'aimais.
- Claire, s'il te plaît...
- On voyait qu'elle t'aimait. Plus que tout au monde.
- Claire ! »
J'ai presque crié, sans le vouloir. Claire regarde ses pieds. Rares sont les fois où je l'ai vu baissé les yeux.
« Pardonne moi Claire. Je voulais pas crier.
- C'est rien.
- Si. Je m'excuse. Je suis un peu fatigué, et...
- C'est rien, je te dis. »
Elle s'est énervée aussi.
« J'essaie de ne pas trop y penser, tu sais. Mais la date approche, et rien à faire, c'est là.
- Je sais. J'essaie de ne pas y penser non plus, frérot. Mais je n'y arrive pas, non plus. »
Nous restons assis l'un à côté de l'autre, sans dire un mot, perdus dans la contemplation de la tombée de la nuit à travers la baie vitrée de ma chambre.
« Tu crois qu'un jour, on reprendra une vie normale, toi et moi ? »
Je me tourne vers Claire. Je ne saisis pas bien ce qu'elle vient de me dire. Qu'est-ce qu'elle veut dire ?
« Claire, je ne comprends pas... »
La sonnette de l'interphone retentit dans l'appartement. Je ne bouge pas toujours dans l'incompréhension. Claire se lève.
« Ca doit être Sean. Je vais lui ouvrir. »
Je reste assis sur mon lit et interroge du regard la photo de Sofia. Qu'est-ce qu'elle a voulu dire ?