Fragment #20 - Les images, et ce qu'il y a derrière

Le ciel est gris et le froid me gèle les os. Je crois que je déteste tout simplement l'hiver. Devoir porter cette stupide veste et cette écharpe qui gratte, être sans cesse transie.
Julian m'a donné rendez-vous au café Beaubourg. Il est rentré à Paris ce weekend, et après tous ces mois sans nouvelles, on s'est dit que ça pourrait être bien de discuter un peu du bon vieux temps. Je ne peux pas lui en vouloir, car j'ai trop de fois disparu sans donner d'explications pour le lui reprocher maintenant. Tu fais ta vie, Julian, je m'en fous. Je ne te poserai pas une seule question, libre à toi de me parler si tu en as envie. Par contre, en échange, je ne dirai rien de Patrick, ni de ma situation, et je ne parlerai certainement pas de Damien. Il faut savoir garder son jardin secret, et finalement, qui sommes-nous l'un pour l'autre, Julian ? Plus le temps passe, plus nous mourrons, plus nous changeons. Est-ce tu es encore celui que j'ai aimé ?
Le voilà qui arrive, la démarche assurée, des regards hautains de-ci et de-là. Non, vraiment, je ne suis plus sure de toi, Julian. Je ne te connaissais pas comme ça. Où est le garçon taciturne et tourmenté, le renfermé, le fasciné ? Tu ne t'émerveilles plus de rien, tu es devenu brûlant de certitude. Je le vois à la façon que tu as de me faire la bise, à tes paroles qui coulent de ta bouche comme des rivières de lave, à tes manières un peu snob. Où est passé le froid, la pâleur boréale de tes inquiétudes, la poésie, le romantisme frais et innocent ? Est-ce que c'est ça, qui se cachait derrière l'image de mon amant favori ? Finalement, je ne suis pas sure de vouloir m'intéresser aux 90% de l'iceberg, dissimulés sous la surface. Je préfère l'image superficielle et charmante, le mystère, le voile de glace. Est-ce qu'il faut connaître les gens ?
Je regrette d'avoir connu Simon, de l'avoir trop connu. Maintenant je sais chacun de ses défauts, chacun de ses mécanismes, et il n'y a rien de pire que de pouvoir prévoir tout ce qu'il va faire, tout ce qu'il pense, tout ce cheminement de causes à effets qui se met en branle dans son cerveau.
Et toi, Damien, quand je te connaîtrai, est-ce que je regretterai une fois encore de n'avoir pas su me contenter d'une image ?