Frgament #92 - Deux années

Aujourd'hui. C'est mon anniversaire. Je suis Damien Den, et j'ai vingt-sept ans. Mais, depuis deux ans, je ne suis plus l'enfant auquel mes parents ont donné naissance. Non, je suis une somme incalculable de souffrances. Je suis deux tentatives de suicide. Je suis un cadavre au fond d'une tombe pour l'une, un mal apaisant pour une autre. Je suis la source de la plupart des inquiétudes de ma soeur. Je suis un fantôme aux yeux d'un ami. Je suis le berceau de l'Acide. Je suis la souffrance personnalisée. Je suis fatigué. Je suis celui qu'elle a abandonné. Je suis celui qu'elle a aimé. Je suis celui qui l'aime.
Je suis fatigué car chaque jour est une lutte, contre l'oubli, contre l'absence, contre l'envie de me faire disparaître. Chaque jour, je dois chercher une nouvelle raison de continuer jusqu'au jour suivant. Je suis fatigué car je n'arrive plus à goûter aux instants de bonheur avec ma famille ou mes amis. Chaque fois qu'un sourire se dessine sur mon visage, mon esprit m'impose une image de mon petit ange. Mon ange si précieux, si doux, si adorable... si absent.

Sofia et moi aimions souvent nous promener. Rien qu'à deux. Nous venions souvent nous asseoir sur un banc, non loin de la citadelle de Lille. Même si c'était au coeur de la ville, même s'il y avait toujours des passants, nous aimions venir ici, nous asseoir et nous blottir l'un contre l'autre. Mais ce soir, je suis venu seul. Le jour tombe déjà. Il y a un vent léger, mais glacial. Je suis transi de froid, mais je reste là, assis, face à l'étendu d'eau au centre de la citadelle. Il n'y a quasiment personne, l'heure et le temps ayant poussé les gens à se réfugier chez eux. Dans la chaleur de leur foyer.
Je regarde ma main et imagine celle de Sofia, au creux de la mienne, rougie par le froid. Je lui donnerais mes gants, beaucoup trop grands pour ses petites mains, minuscules dans les miennes. Je les aurais amenées à ma bouche et aurais soufflé dessus pour les réchauffer. Puis nos visages se seraient rapprochés, et nous nous serions embrassés.
Je ferme les yeux et me joue cette scène. La peau délicieusement douce de ses joues. Ses lèvres chaudes me prodiguant de tendres baisers dans le cou. Ses mains, ses minuscules mains que je ne quittais jamais, enfouies dans les miennes. Je garde les yeux fermés encore et encore. Je veux les garder infiniment clos, et rester inlassablement aux côtés de mon ange.

J'entends mon prénom. Il est dit tellement doucement. Avec tellement de gentillesse.
« Damien. Il va falloir rentrer. »
J'ouvre les yeux. L'obscurité s'est complètement installée. Il n'y a qu'un lampadaire à quelques mètres de là pour diffuser un peu de lumières aux alentours. Les bruits de la ville sont étouffés par la nuit et le froid.
« Damien. Rentrons. Il est tard. S'il te plaît. »
Une silhouette se découpe dans le halo de lumière.
« Sofia ? »
La silhouette s'assoit à côté de moi et passe un bras autour de mon bras. Elle me serre contre elle. Je sens une autre main se poser sur mon épaule. Il y a quelqu'un d'autre derrière moi.
« Viens, on rentre frérot. Tu vas tomber malade. 
- She's right, Damien. We have to go. »
Je reste encore un instant perdu dans mes rêveries. Puis je suis Sean et Claire.