Fragment #18 - L'avenir est une montagne infranchissable

Nous nous serrons dans les bras l'un de l'autre, succinctement, car les voix des hauts-parleurs nous rappellent que le train va partir, et Alex me quitte pour monter dans son wagon. Il rentre sur Paris ce soir, après un weekend passé chez nous, en Bourgogne. C'est dur, de voir la vie nous séparer de son meilleur ami. C'est dur de ne plus le voir aussi souvent, de ne pas pouvoir lui dire combien tout me pèse depuis que Julian est sorti d'affaire. Toutes ces choses que j'avais mises de côté : mon homosexualité et mes parents, mes études de médecine et mon avenir, mon frère ennemi qui partage mon appartement, mon petit ami qui s'éloigne... Est-ce que j'en verrai le bout un jour ?
J'ai l'impression que l'avenir est une montagne que je n'arriverai jamais à franchir. En sortant de la gare, je remonte vers la place Darcy, sans me décider à rentrer à l'appartement. Alors je continue mon chemin le long de la rue de la Liberté, flânant dans le froid de novembre, les mains au chaud dans mes poches. Robin m'a dit qu'il n'était pas disponible ce weekend, et je prie intérieurement pour qu'il ne soit pas avec ce Laurent que je déteste.
Finalement, à force de marcher, je me retrouve place de la Libération. Et si je retournais au Dionysos ? Nous y avons déjà passé l'après-midi, avec Alex, mais c'est plus fort que moi. Ce bar me réchauffe le coeur. Louis est un monsieur très généreux, il a le coeur sur la main. Et du coup, on se sent comme chez soi quand on passe la porte.
« Tiens, le benjamin Mahogany nous rend encore visite ? lance Louis dès que j'entre dans le Dionysos déserté par les clients.
- Eh oui, je peux plus m'en passer moi, de ce bar.
- Ca me fait bien plaisir. Je t'offre quelque chose ?
- D'accord... un truc fort ?
- Si tu veux oui, et je t'accompagne. Un shot vodka-caramel ?
- Ca marche !
- Tu sais boire cul-sec hein ?
- Je sais que j'en ai pas l'air, mais je suis étudiant en médecine, Louis ! C'est un des premiers trucs qu'on apprend, là-bas...
- Ouh oui, j'ai cru comprendre que vous aviez besoin de décompresser dans ce machin là, que c'était pas facile tous les jours... »
Pour toute réponse, je souris à Louis quand il me tend le shot, qu'il enduit de crème chantilly. Nous trinquons tous les deux, puis jetons le liquide brûlant et la mousse blanche au fond de notre gorge.
« Alors, raconte-moi Lilian, qu'est-ce qui va pas ces temps-ci ?
- Ca se voit tant que ça, que je suis pas très bien ?
- Comme le nez au milieu de la figure, monsieur Mahogany.
- Mince, je ne pensais pas.
- Alors, dis-moi tout.
- Disons que je me sens un peu écrasé...
- Ecrasé ?
- Par plein de choses. Plein de choses à venir, qu'il va falloir régler, des problèmes à résoudre...
- Je vois. Mais tu sais, les choses viennent rarement toutes d'un coup. Des fois on imagine le futur comme un tout, alors que c'est une succession de petits trucs. Tu pourras t'en occuper chacun leur tour ! 
- Oui, il faudrait se faire une liste et rayer chaque élément un par un.
- Voilà, ça me paraît censé, monsieur Mahogany ! »
OK. Donc, il faut : parler à Robin de notre couple en chute libre, parler à Florian de notre collocation désastreuse, parler à Papa et Maman de mon homosexualité. Et réussir ma première année de médecine, aussi, cette fois.