Fragment #158 - Tenace Blandine

Je cours pour tromper l’ennui. Le sol défile sous mes pieds, anonyme, parsemé de chewing-gum aplatis et d’excréments canins. Je n’ai pas spécialement de respect pour la planète ou pour les autres, mais ça ne me viendrait même pas à l’esprit de pouvoir laisser ces déchets ainsi s’ils venaient de moi ou de mon chien. Encore une fois, je ne comprends pas l’être humain.
Il ne fait ni vraiment beau, ni vraiment moche. Un temps anodin, banal. Certaines personnes marchent vite, rasent les murs, les buissons, regardent le sol. D’autres personnes, par groupe de trois ou quatre, marchent avec une lenteur exécrable en prenant toute la largeur de la route et en ne se décalant que lorsque la personne désirant passer en vient à les heurter. Certains se déplacent en famille, des mères poussent leurs enfants devant elles en les houspillant, des pères courent après des gamins qui rient aux éclats. La vie de la rue.
« Hé ! »
Le sol défile sous mes pieds.
« Léo ! »
Le sol défile.
« Hé, Léo ! »
Je m’arrête. Cette voix. Je me retourne, et Blandine est là, vingt mètres derrière moi, à la sortie de l’école. Le cours vient de se terminer, et je n’y étais pas. L’œil droit de Blandine est enflé et légèrement violet, et elle a une petite suture au niveau de l’arcade. Cela me laisse indifférent. Je n’ai aucun remord pour ce que j’ai fait, et je le referais si c’était à refaire. Il y a dans l’œil de Blandine une animosité qui lui sied à merveille, en plus des vaisseaux sanguins éclatés.
Elle s’approche de moi à pas mesurés, nullement effrayée. Va-t-elle me foutre me une baffe, ou même essayer de se battre contre moi ? L’idée m’amuse, mais j’en doute. Ca ne lui ressemblerait pas. Elle s’arrête à quelques pas de moi.
« Après-demain soir, même adresse. Sois là. »
Je reste immobile, incrédule. Ca, je ne m’y attendais pas. Elle tourne les talons et s’éloigne, rentre dans l’école en me laissant planté sur le trottoir. Je ne comprends pas à quoi elle joue. Je sais juste qu’il y a quelque chose d’étrange là-dessous. Elle espère vraiment me voir venir après la façon dont ça s’est terminé l’autre fois ? C’est ridicule.
La soirée d’hier me revient en mémoire. La promesse que je me suis faite. Il faut que je devienne autre chose que Jérôme. Mais je ne peux pas abandonner Léa… Je voudrais que tout redevienne comme avant ma rencontre avec Christelle et sa fille. Que je redevienne celui que j’étais, seul, égoïste, et heureux d’être ainsi. Heureux… Puis-je prétendre avoir été heureux à une autre période que celle que j’ai connu avec Léa ? J’en doute.
Que voudrait-elle de moi ? Qu’attendrait-elle que je fasse, si elle pouvait me parler de là où elle est ? Je secoue la tête et reprends ma course pour rentrer à l’appartement.