Mardi 9 décembre 2008
à Dijon
Je stoppe la voiture sur une place de parking. J'arrange mon chignon en me regardant dans le rétroviseur intérieur et en profite pour remettre du rouge à lèvres. Je descends alors que le soleil pointe à peine derrière Saint-Michel, la fin de la rue de la Liberté, désertée. Tous les collégiens et lycéens, qui fourmillent habituellement ici à cette heure, sont pour la plupart immobiles à leur arrêt de bus. Rien ne bouge. C'est de là que vient cette impression de vide. Mais si le froid se voyait, la rue serait bondée et je ne pourrait plus avancer. Son insidieuse transparence est un parfait atout pour lui comme pour nous.
À midi, comme tous les midis, je mange dans cuisine avec trois collègues. Chantal, Monique et Alain. C'est plutôt sympathique de déjeuner avec eux, ils ont toujours une petite anecdote, une petite indiscrétion à raconter sur quelqu'un de la boîte. Rien de bien intéressant, mais ça me sort de mes chiffres le temps du repas.
Comme il n'y a qu'un réfrigérateur et un micro-ondes dans cette cuisine, je suis obligée de manger du
facilement cuisinable, et surtout du «
vite fait ». Néanmoins j'évite de manger comme Chantal ces ignobles plats tout préparés qu'elle achète à Intermarché ou à Carrefour. Je suis toujours la dernière à quitter la cuisine parce que je prends mon temps pour déguster mon repas. Évidemment ils sont moins bons réchauffés au micro-ondes que mijotés chez moi, mais je m'en satisfais largement. Chantal et Monique sont parties dans le bureau de cette dernière, parce que Monique est revenue de Marrakech ce weekend, et qu'elle voulait montrer ses photos de vacances à sa «
super-meilleure-collègue ». Évidemment j'ai presque vingt ans de plus qu'elles, alors ces midinettes trentenaires doivent me prendre pour une vielle bique gâteuse. Je ne les porte pas non plus vraiment dans mon cœur, mais pour l'instant la courtoisie est de rigueur et elles me respectent. Au moins en ma présence.
Alain, lui, est parti se changer chez lui – il habite en face- parce qu'une mini tâche de sauce tomate est venue gâter l'impeccable couleur saumon de sa chemise en soie qui ne laisse aucun doute sur ses préférences sexuelles.
Bref, je me retrouve toute seule. Pas de travail en retard, et plus de livre en cours ; je n'ai plus qu'à aller faire un tour en ville jusqu'à quatorze heures pour passer le temps. Je regarde ma montre en refermant la porte. J'ai un peu plus d'une heure devant moi. Le froid me pince le nez, je remonte mon col, je boutonne entièrement mon manteau et enfouis mes mains au fond de mes poches.
Je remonte sur mes talons pointus la courte rue Vaillant. Je peux aller faire les boutiques. Je continue de monter. Il fait vraiment froid. Je rentre chez San Marina. Ils ont des chaussures originales. Pas forcément à mon goût, mais originales. Je n'achète rien, ressors et continue de monter. À la ''lib'de l'U'' j'achète
Toutes ces choses qu’on ne s’est pas dites -le dernier roman de Marc Lévy-, à la Librairie Privat si vous préférez, mais j'ai un peu de mal à me faire à ce nouveau nom. J'ai bien envie de le commencer maintenant. Alors je redescends la rue ; puis je tourne à droite perdue dans mes pensées -au lieu de continuer tout droit-. Aussi, dès que je m'en rends compte je rectifie le tir, et tourne rue Amiral Roussin pour rejoindre au plus court la rue Vaillant et l'agence immobilière où je travaille.
Tiens c'est donc là le Dionysos. Depuis le temps que j'entends Alexandre en parler, je ne savais toujours pas où se situait exactement ce café. Une idée me traverse l'esprit. Je regarde ma montre. C'est bon j'ai le temps. Je vais rentrer et regarder l'allure que ça a. Il n'y a que très peu de bruit à l'intérieur quand je pousse la porte pour me mettre au chaud. Mes talons résonnent sur le carrelage. Je m'approche du comptoir, un jeune homme est en train d'essuyer des verres.
« Excusez-moi, pourrais-je avoir un petit café s'il vous plaît ?
- Oui, bien sûr Madame. Je vous laisse aller vous installer.
- Merci. »
Je m'installe dans un coin et commence à regarder autour. Il n'y a que trois personnes. Deux étudiantes qui discutent pseudo-philosophie vers la vitre, et un vieil homme qui regarde dans le vide au fond du bar.
Je sors mon livre pendant que le jeune homme m'apporte mon café.
Flûte, je n'ai pas vu le temps passer, il est déjà deux heures et quart. Je me lève, en terminant ma dernière gorgée de café froid. Je lâche l'ouvrage dans mon sac à main.
« Au revoir messieurs dames », dis-je en quittant le café.
Le froid me saisit. Entre le chaleur du café -lieu et boisson-, et la douceur du livre, j'avais oublié qu'au dehors régnait la reine des glaces. Je trottine sur mes talons en tenant au bout d'un bras mon sac à main, et dans l'autre main, serrés, les deux pans de mon manteau que je n'ai pas pris le temps de fermer.
Quand je rentre dans l'agence, le directeur qui discute avec la jeune standardiste, me regarde passer avec ses yeux mi inquisiteurs mi féroces.
Avant de pouvoir me rasseoir à ma place je dois passer devant le bureau de Monique où elle et Chantal sont toujours en train de commenter les photos du Maroc. Elles sourient en me voyant passer rouge et essoufflée.
Je me sens un peu honteuse d'arriver ainsi en retard. Fichu bouquin !
Je resterai un peu plus tard ce soir, de toute façon personne ne m'attends à la maison.
Personne ne m'attends à la maison.