Fragment #137 - La fille aux cheveux de sang

C’est elle. La fille de l’affiche du film. Le Parfum. Elle a des cheveux rouges. Rouges comme le sang. Une chevelure écarlate et bouclée pour encadrer un visage pointu et mat. Des paupières lourdes voilant un regard acéré, un regard comme une lame de rasoir qui jette son dégoût déchiquetant sur le monde, accompagné par la forme d’une bouche dédaigneuse aux commissures tombantes. Corps parfait. Je connais ce corps. Nous nous connaissons. Toi, la fille aux cheveux de sang, toi que j’ai tout fait pour enclore dans une urne maudite sous des tonnes et des tonnes et des tonnes de terre noir dans les tréfonds de mon cerveau-tombeau, avec tous les autres. Elle marche devant moi, dans le couloir de la fac, tenant son sac d’une main, l’air ailleurs, soumise à quelque autorité néfaste. Des cernes violacent le dessous de ses yeux. Tu n’as pas tant changé depuis la dernière fois... Ta démarche rapide – serais-tu en retard ? – devant mes yeux aide ton souvenir enfoui à s’échapper, et je ne peux rien faire pour l’en empêcher. Je me contente de contempler le désastre, alors même que tu ne me vois pas, trop renfermée dans ta haine du monde. Je te connais, tu sais. Depuis le tout début, j’ai tenté de dissimuler cette facette de mon passé. Ce passé lourd, ce passé noir. Là d’où vient le mal qui me ronge et d’où sont nées mes ténèbres intérieures. Vous ai-je déjà parlé de ma première année de fac ? Oh vous pouvez vérifier, vous ne trouverez rien. Je suis doué pour oublier ce que je ne peux affronter ; je suis un lâche, vous savez. Un an à plonger, à explorer ma noirceur et celle du monde. Jusqu’à ce que j’étouffe, que je n’en puisse plus. Je me suis tiré seul de la tourbière où vous m’avez embourbé, toi et les autres. Eux ne tarderont pas à ressurgir non plus. Ce n’est qu’une question de temps. Anubis, La Nausée, toutes ces angoisses qui me rongent… Vous allez voir comme tout est lié, bien ficelé. Digne d’un vrai scénario de film à suspens. Maintenant le dépôt de mon horreur refoulée va remonter à la surface, petit à petit. Déjà les souvenirs apparaissent, et je vois mes prophéties s’accomplir. J’avais vu tout cela dans le ciel, car je suis un dieu, et je savais. Maintenant c’est inéluctable. La plongée est d’ors et déjà entamée, et je ne sais pas si j’en sortirai vivant. Lola, Jed, Nalvenn, vous ne comptez déjà plus. Il n’y a plus que cette fille, cette fille aux cheveux qui perlent de sang. Le début d’un cauchemar, le temps des parce que.
Sylvia.