Altaïr
| Sujet: Fragment #6 - La cavalcade des particules 08.04.08 11:48 | |
| Samedi 25 février 2006 à Dijon Derrière le verre du lampadaire, le filament incandescent rougeoyait en grésillant doucement. Le jeune homme émergea dans la nuit et se figea en contemplation face au spectacle qui se jetait à ses yeux. La ruelle du Parvis baignait dans un silence. Le sol blanchi par la neige luisait ; mille pépites de lumière cristallisées par le froid. Pas un souffle, pas un son. Julian cracha un flot de buée. La vapeur de son haleine s’échappait en un mince filet entre ses lèvres bleuies, pour s’étioler dans le vent comme une fleur diaphane, délétère. Il demeurait ainsi immobile, pétrifié ; un sourire s’esquissa sur sa bouche, tandis qu’une multitude de particules descendait des profondeurs célestes, et des ombres minuscules chatoyaient, petites taches de coton, sur la surface poudrée des trottoirs pavés. C’était une cavalcade, l’assaut du ciel sur la terre. Les particules pleuvaient infinies, perles venues de l’immensité. Et Julian les regardait tomber, et dans ses prunelles acajou dansaient des étincelles ; l’émerveillement de l’enfant ivre de givre qui court dans la neige par une nuit sans son, bras tendus en ange, yeux clos, recueillant la manne sur le bout de la langue ; souvenir sépia. Julian frissonna.
Comment ai-je pu en arriver là ? Le venin de l’amour s’est répandu en moi, flot intarissable et tumultueux, et désormais mon corps n’obéit plus qu’à lui. Nalvenn, ma petite luciole islandaise… comment ai-je pu tomber amoureux de toi ? Il a fallu tous ces mois d’absence, ce silence, puis ces retrouvailles soudaines dans un éden botanique, et l’artifice de Vénus a finalement fait son œuvre, sans même que j’en prenne conscience. Comment fermer les yeux maintenant ? Tu te fiances à lui, lui qui a toujours été là, même au temps où nous étions amis. Je me souviens de tes mots tissant son portrait d’ange. Comment ai-je pu oublier son existence ? L’anneau d’argent est à ton doigt et te promet à l’autel, et mon cœur pourtant s’embourbe dans ta lumière. Pourquoi est-tu si triste, douce Nalvenn ? Ne devrais-tu pas sourire face à ton avenir ? Est-ce le doute ? Oserais-tu douter de lui, et ainsi m’accorder une chance ? Non, ce n’est que la peur qui t’étreint. Le bonheur, montagne colossale, te surplombe de sa toute puissance, et toi, infime poussière d’or, tu sens ton cœur frémir dans les neiges éternelle. Et je rentre chez moi, au cœur des ténèbres, le cœur maudit gorgé d’amour au goût d’absinthe, chancelant. A présent tout n’est plus que glace.
Les délicates mains du froid se plaquaient contre ses joues et caressaient son visage. Ses doigts se posèrent sur ses paupières, et Julian ferma les yeux. Le vent nocturne effleurait sa peau tel un amant assoiffé de chaleur, baisait sa chair hérissée avec ardeur. A cet élan de désir répondait la pulsation du sang, son tempo sourd, volcanique. Alors, de part et d’autre du masque de sa peau, le sang et le vent s’étreignaient tendrement. Enlacement sensuel de l’homme et de la nuit d’hiver.
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