Altaïr
| Sujet: Fragment #153 - Le meilleur ami que j'ai jamais eu 10.04.08 22:49 | |
| Vendredi 1er décembre 2006 à Dijon Un brouillard épais voile les rues cette nuit. Sur le quai de la gare, le jeu de buée de mon haleine se fond dans la brume ambiante. A travers la purée de pois, deux halos de lumières apparaissent. Le train en provenance de Besançon Viotte entre en gare. Mes mains tremblent ; ce doit être le froid… Où est Sylvain ? Grand, maigre, les cheveux bruns et courts, le visage fin. Le voilà qui dessine sa silhouette dégingandée à la sortie du wagon miteux. Sourire d’amitié éternelle, frappée à même nos bouches d’adolescents pour toute la vie comme des cachets de cire. Poignée de main un peu brusque et maladroite, puis embrassade chaleureuse, parce qu’il ne faut pas déconner non plus, Sylvain et moi on s’aime comme des frères, peut être même plus. Avec toi je ne fais pas semblant comme avec eux. Est-ce que rien n’a changé ? Tant de choses à se raconter. On voudrait tout se dire, mais le séjour de mon ami à Dijon est trop court pour cela. Et je ne pourrais pas te faire vivre ce que j’ai vécu comme je le souhaiterais, pour cela il faudrait bien plus que des mots. Alors on parle de tout et de rien. Ouais, je sais Sylvain, c’est le sidaction en ce moment. Je ne te le dis pas, mais il faudrait que j’aille faire un test. Peut-être qu’en ce moment même je porte en moi l’avant goût de la mort, comme une sorte de jumeau de sang empoisonné qui circulerait dans mes veines et y répandrait ma sinistre destinée. Je me vois bien mourir du sida. Une lente agonie pour un jeune homme de vingt ans. Oui, ça m’irait bien. Une jeunesse tragique sous le signe de la séropositivité. Julian est séropositif. Non Sylvain, je n’ai pas fait de don. Je sais, il faudrait, d’autant plus que, dans quelques mois, je m’intéresserai peut-être à l’avancée de la recherche avec un intérêt plus accru. Changeons de sujet, veux-tu ? Non, je n’ai personne en ce moment. Je sors d’une relation intense avec une fille que j’aimais beaucoup. Pourquoi ça a cassé ? Parce que… Changeons de sujet, veux-tu ? Nous traversons le brouillard depuis la gare jusqu’à mon appartement, en passant par la place Darcy, nimbée d’une couche de vapeur brumeuse. On va devoir dormir dans le même lit toi et moi Sylvain. Non, je sais que ça ne te dérange pas. Tu es le meilleur ami que j’ai jamais eu, tu le sais ça ? En caleçon sous la couette, les regards noyés par l’obscurité, nous retraçons nos chemins séparés. Nos vies défilent dans nos bouches, le passé s’éteint à travers la fumée de nos paroles. Je n’ai pas peur de tout te raconter : comment Nalvenn s’est éloignée de moi lorsqu’elle a rencontré Sébastien, comment j’ai fait la connaissance de Maïa et de son frère Sethi, comment j’ai été inclus dans leur Clan décadent de libertins philosophes, comment j’ai sombré dans les abysses de mes ténèbres intérieures, comment j’ai rencontré Laura, mon oiseau de feu, comment je l’ai perdue, comment j’ai compris qu’il me fallait fuir, fuir et oublier, comment j’ai oublié, enterré en mon cerveau le souvenir du Clan et de ses membres destructeurs, comment j’ai erré, seul, et me suis rapproché de Nalvenn, comment j’ai rencontré Jill en reprenant confiance en moi, comment une soirée enivrée à tout fait déraper entre elle et moi, comment je suis parti pour Paris cet été, comment j’y ai rencontré Nathan, le cousin de Sébastien, puis Gautier, comment j’ai retrouvé la chaleur des hommes, comment j’ai découvert le monde des Masques et comment j’ai libéré en moi l’inspiration latente, comment je suis rentré à Dijon, comment une simple petite boîte m’a placé sur le chemin de Jed, comment j’ai rencontré Lola, comment je l’ai trahie. Voilà, c’est tout ça ma vie, depuis que tu es parti. Un chaos. Une belle histoire, dis-tu ? Une histoire. C’est vrai, tu as raison, il s’en est passé des choses, pendant tout ce temps… Et toi qui regrette de n’avoir rien vécu, alors que tu étais parti pour te sentir vivre, pour t’épanouir. Finalement, te voilà un peu déçu. Nous nous endormons en parlant, le sommeil écrasant nos paupières alourdies pour nous ensabler dans ses rets. | |
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