Fragment #101 - Cordialement

Je bâille au moins pour la vingtième fois en moins de cinq minutes. Résultat du week end un peu trop arrosé avec Sean. Lui aussi semble être crevé, mais je pense pour une autre raison. Je chasse de mon esprit les images de lui et ma sœur. Beurk. Ian ne nous lâche pas depuis ce matin. Correction des photos, distribution des missions pour la semaine, et pour finir, le premier bilan financier. En gros, on tient la route et on a pas mal de possibilités qui s'offrent à nous.
« Bon, et puis, ce midi, on mange ensemble. Je vous paie le restau. »
On refuse pas. Après tout c'est lui le boss.
Une demie heure plus tard, nous voilà à commander au Palais du Dragon, rue de Tournai et à discuter de photographes qui nous ont influencé. Lorsque j'y réfléchis bien, j'ai toujours été admiratif devant les photos de Hors Faas. Un des plus grands photo-journaliste qui n'ait jamais foulé la terre à mes yeux. Mais bizarrement, je me sens plus proche de la démarche d'un photographe comme Michael Ackerman. Expérimenter, ne pas montrer les choses telles qu'elles sont. Distordre mes sujets, chercher le petit truc que personne ne voit. Et créer. Créer mes propres histoires.
Plus le repas avance, plus les langues se délient. Chacun y va de sa petite anecdote. Ian nous raconte comment il a été harcelé par une jeune modèle qui s'était éprise de lui, Sean nous raconte comment en Angleterre, il a du faire des photos pour des tabloïds pour se lancer. Je leur raconte juste un de mes plus beaux souvenirs. A Prague, avec Sofia, j'avais fait une photo de la place Vencenslas, et j'avais ressenti toute l'ampleur historique de ce lieu. La lutte du peuple tchèque contre l'oppression russe. Les deux jeunes étudiants qui s'étaient immolés sur cette place pour contester le régime politique alors en place. Ce jour là, j'ai pensé à tout ces photo-journalistes, à travers le monde, qui couvrent les conflits, qui témoignent de l'état de notre planète et j'ai su alors que je voulais vraiment être un reporter. Pas un simple photographe. Non. Un reporter.
A la fin du repas, Ian règle et nous sortons. Le temps est vraiment triste. Un ciel gris nous écrase. Nous nous dépêchons de rejoindre notre bureau dans le Vieux Lille. Je m'installe derrière mon écran et vérifie mes mails. Rien que des pubs. A part peut-être un. Je l'ouvre. Pendant un instant, je détourne les yeux. Je n'arrive pas y croire. Comment ont-ils eu mon adresse personnelle ? Aucun intitulé et un expéditeur dont l'adresse est une série d'au moins vingt chiffres. Mais je sais d'où ça vient, de qui ça vient. Ça vient d'eux. De l'Enfer.

Monsieur Den. Nous sommes ravis de voir que vous avez à nouveau du travail sur Lille. Nos sincères félicitations aussi à vous et votre nouvelle amie. Cela faisait longtemps que vous vous tourniez autour apparemment. Nous voulions juste vous rappeler que nous ne vous oublions pas Monsieur Den. Nous n'oublions jamais personne.
Cordialement.