Fragment #20 - Mauvaise rencontre

Dix-neuf heure cinq, je sors de la bibliothèque universitaire à laquelle j'étais restée réviser après les cours. Je suis épuisée. Vivement que je sois à la maison et que je retrouve mon lit. Je traverse le campus, presque désert à cette heure. C'est tellement sinistre. La sculpture multicolore qui trône devant les bâtiments austères de la fac de bio s'est transformée en une silhouette menaçante, surplombant le parking et ses seuls occupants, quelques voitures, carcasses métalliques sans chauffeur, dont les pare-brise encrassés reflètent la lumière orangée des réverbères à vapeur de sodium. C'est horrible. Je n'aime pas ce genre d'endroit la nuit. Comme tout le monde je suppose. Je soupire. Il n'y a que moi pour rester si tard ici. Je presse le pas, il fait froid. Et dire que j'ai encore un compte rendu de TP à terminer pour... Je m'arrête. Quelqu'un a crié. Je ne suis pas sûre.... Si ! Ca recommence. Merde... Il y a des gens qui gueulent là-bas. J'hésite un peu, puis finalement, je me dirige vers l'extrémité du bâtiment de droit. Au fur et à mesure que je m'approche, les cris se font de plus en plus intenses, et mon rythme cardiaque s'accélère. Des insultes. Ce sont des insultes. Je longe prudemment le mur du bâtiment, et dans un élan de courage, me risque à regarder discrètement ce qui se passe. Trois hommes. Ils ont l'air plutôt jeunes, mais d'ici, c'est difficile à voir... Mais, lui, je le connais ! Ce garçon, je me souviens l'avoir déjà croisé plusieurs fois au RU et sur le campus. Mon coeur s'accélère soudainement... L'un des deux hommes vient d'agripper le col du garçon et lui décoche un coup de poing en plein visage, sans aucune retenue. J'ai les jambes qui tremblent. Mon dieu, mon dieu, mon dieu... Je lève la tête vers les passerelles qui joignent les deux parties du bâtiment. Il y a bien quelqu'un qui va sortir... Il faut l'aider. L'aider... je ne peux pas. J'ai trop... merde, je ne sais pas ! J'ai envie de partir en courant mais mes jambes ne bougent plus. J'entends un râle. Le garçon gît à présent à terre, et les deux hommes le rouent de coups de pied. C'est tout mon corps qui tremble à présent. Qu'est-ce que je fais ? Qu'est-ce que je fais ? Si je m'en vais, ils vont peut-être le tuer... Et merde ! J'ai envie de pleurer, de crier, mais mon corps ne réagit plus. Seules les pensées se bousculent dans mon esprit. Et je ne parviens pas à détacher mon regard du drame qui se joue devant moi. Soudain, l'un des deux hommes se retourne et son regard croise le mien. Pendant, une seconde, une toute petite seconde, ses yeux noirs se fixent sur moi, et mon corps est parcouru tout entier d'une sorte de décharge électrique. Puis, sans savoir comment, je me retrouve à courir. Je file le plus vite possible entre les bâtiments de droit et de biologie, en direction du boulevard. Le vent me fouette le visage et je m'étouffe avec ma propre salive que je n'arrive plus à évacuer. Merde... Et s'ils me rattrapent ? Cette pensée me fait encore accélérer. Le bus... Je vois le bus. Je n'essaye même pas d'éviter les passants, je bouscule tout le monde sans ménagement. La porte est face à moi et je saute à l'intérieur du véhicule, près du chauffeur. Ils n'oseront rien me faire ici... Appuyée contre la vitre, je reprends mon souffle difficilement. Mon cœur bat toujours la chamade. Je laisse tomber ma tête brûlante contre la vitre froide et laisse le sang qui pulse dans mes tempes s'apaiser. Le bus démarre. Je suis sauvée. Je vais m'asseoir sur le siège le plus proche et sors mon téléphone portable. J'ai du mal à appuyer sur les touches, mes mains sont encore tremblantes. Finalement, je parviens à écrire: « retrouve moi tou 2 suite o parc de la toison. Il fo ke je te parle absolument c urgent. dépèch toi stp. » J'envoie le message à Dimitri. Quelques secondes se passent... Pourvu qu'il soit là. Je reçois l'accusé de réception. Il ne manque plus que la réponse. Ne tarde pas je t'en prie. Tandis que le stress me gagne, les images de la bagarre me reviennent à l'esprit. Le garçon frappé qui tombe au sol, et surtout le terrible regard que m'a jeté cet homme. Je sens la nausée monter en moi. Mon portable se met à vibrer. « J'arrive tou 2 suite. Attends moi surtou »