Fragment #23 - Mauvaise semaine

Je suis devant les portes de l’immeuble où je travaille. J’hésite à rentrer dans le bâtiment, le souvenir de l’accueil du début de semaine me faisant encore froid dans le dos. Je passe la porte quand même et me précipite vers l’ascenseur. Les regards n’ont pas eu grand temps de se poser sur moi. J’appuie frénétiquement sur le bouton rond du cinquième étage. La petite lumière entourant le bouton diffuse son halo bleu. Les portes mécaniques se referment sur moi. Je suis seul durant la montée, m’offrant un instant de répit avant la traversée des bureaux et des studios de l’étage où se trouve mon clapier. Je le rejoins presque avec joie ce clapier. Cette petite salle où depuis trois jours j’ai pu échapper aux regards des autres. Ian y avait laissé un paquet pour moi lundi matin. Je l’avais oublié toute cette semaine, trop préoccupé par mes remises en question. Il avait récupéré personnellement mon appareil photo à la Malterie où je l’avais laissé tomber. Un petit mot accompagnait l’appareil me disant qu’il l’avait fait vérifié et qu’il n’avait rien. Au dos du bout de papier, il avait marqué qu’il passerait me voir dans la semaine. Sur le coup, je me suis dit que lui aussi voulait voir celui qui avait eu un malaise sur son lieu de travail. J’ai senti tous ces regards se poser sur moi, voulant voir absolument celui qui était tombé. Voulant savoir qui était ce Damien. J’atteins ma petite pièce avec soulagement n’ayant croisé personne. Je suis surpris lorsque j’ouvre la porte. Ian est assis sur un coin de la table.
« Bonjour Damien. Comment vas-tu ?
- Ca va. Et vous ?
- Très bien. Tu as eu mon paquet hier ? Je l’ai fait vérifier. A part une griffe sur le boîtier, il est en parfait état de marche. J’en ai juste profité pour nettoyer le capteur.
- Il ne fallait pas. Merci beaucoup. »
Je suis gêné par tant d’attention. Ian est sincèrement gentil. Il ne me regarde pas comme les autres personnes. Son regard ne cherche pas à faire du mal. Je ne me sens pas différent lorsqu’il me parle.
« Tu m’as fait une sacrée frayeur. J’ai hésité à venir te voir chez toi. Mais je me suis dit que ce serait peut-être déplacé. »
Intérieurement, je sens une partie de moi qui a envie de lui dire qu’il aurait dû passer, qu’il n’aurait du se gêner et venir me voir. Mais cela reste en moi. Je dois pouvoir continuer à vivre seul comme ça. Sans personne. Sans l’aide de personne. Ian reste assis en face de moi à me regarder. Ses lèvres se desserrent.
« Tu es sûr que ça va Damien ? Tu sembles pas mal préoccupé. C’est à cause du travail ? Tu veux qu’on en parle ?
- Non… C’est juste que…
- Oui ? »
Merde. Ma gorge est serrée. J’aimerais pouvoir parler, expliquer que ça ne va pas dans ma vie. J’aimerais pouvoir saisir cette main tendue et essayer de remonter la pente. Claire le veut. Ses larmes l’autre fois. Pour elle. Pour que tout continue. Pour que la vie reprenne.
« Ian… En fait….
- Qu’est-ce qu’il y a ?
- J’ai des pro…
- Tu veux qu’on en parle ailleurs ? On peut aller ailleurs si tu veux. Tu veux qu’on aille sur la terrasse où tu vas prendre l’air ? Viens. Allons dehors pour par…
- Non. C’est bon en fait. Tout va bien. Ca va aller. Je vais me mettre au travail. »
J’évite soigneusement de regarder Ian, déballant des boîtes de négatifs et les classeurs pour les ranger.
« Bien. D’accord. Je repasserai. Passe une bonne journée Damien. »
Je sens la déception dans sa voix. Il ferme la porte derrière lui et je me retrouve seul dans la petite pièce sans fenêtre. Je regrette déjà d’avoir refusé cette main tendue. Mais je ne suis pas prêt. Pas encore. Je ne fais pas encore assez confiance aux gens pour leur ouvrir les portes de mon esprit. J’ai tellement peur de leur réaction. Tellement peur.