Fragment #43 - Heureuse nouvelle

Les enseignants-chercheurs sont en lutte contre le gouvernement, le décret de Valérie Pécresse, et le mépris ostentatoire du Président de la République. Moi je ne sais pas trop ce que j'en pense, de tout ça. Je n'ai pas vraiment d'opinion politique, en fait. Je me dis que ce sont tous des pourris qui font semblant de s'intéresser à nous, et du coup je m'en fiche. Je ne prends jamais parti.
Je rentre de la fac avec Robin et Déborah. Nous passons au Dionysos, où Mathieu nous explique qu'il bosse tout seul aujourd'hui, parce que Louis a pris des vacances pour partir quelques jours en Ecosse, à Glasgow. Je regarde Robin et lui suggère que nous partions nous aussi quelque part un de ces jours, pourquoi pas ce weekend, d'ailleurs, pour la Saint-Valentin. Il me répond que ce serait avec un immense plaisir, mais qu'il n'a pas assez d'argent et qu'en s'y prenant trois jours avant, on ne risque pas de trouver quelque chose qui ne soit hors de prix. Tant pis, ce sera pour une prochaine fois, le dîner aux chandelles dans un restaurant vénitien après une balade en gondole... Robin a les yeux qui brille. Ca lui plait, ces images romantiques un peu cliché. Moi je veux juste une soirée en tête à tête, une ambiance tamisée, et une excitante partie de jambes en l'air après un dîner tout simple mais hautement aphrodisiaque, histoire de réveiller dans le corps de mon amoureux une furie sexuelle et bestiale.
Nous buvons un chocolat chaud, pour réchauffer nos mains transies, puis nous rentrons chacun chez nous. A l'appartement, Florian a laissé son ordinateur ouvert et allumé, ce qui n'est pas du tout habituel. Curieux, je vais regarder ce qui s'affiche à l'écran. C'est une page Facebook. Sur le profil d'une fille, Sally Lewis -je la reconnais, c'est l'infirmière avec qui Florian travaille et qui couchait avec lui au début de l'année scolaire-, il y a des photos de Florian tout nu, avec, en dessous, en commentaire : « C'est pas drôle pauvre conne ». Mon regard reste fixé sur le corps de mon frère, sur son entrejambe, et je ne sais pas si j'ai envie de rire de la situation ou bien si je veux pleurer, parce que je me rends compte qu'il m'attire vraiment, que je le trouve excitant, et que j'aimerais le toucher.
Mon téléphone se met à vibrer. C'est Julian.
« Allô ?
- Salut Lilian, ça va ?
- Oui ça va et toi Ju ?
- Très bien... Tu fais quoi ?
- Heu rien. Je viens de rentrer, je suis tombé sur des photos de Florian à poil sur Facebook.
- Ah tu es inscrit sur Facebook toi ?
- Non, non. C'est le profil de Florian. Une copine à lui a mis des photos de leur dernière soirée.
- Eh ben dis donc, c'est chaud à Dijon !
- Pas tant que ça en fait... Et toi, tu as un compte sur Facebook ?
- J'en avais un oui, mais c'était juste pour voir, j'y suis jamais retourné.
- OK. Et alors, Paris, ça se passe comment ? Elles vont bien ta chérie et ma nièce ?
- Elles vont très bien. Très, très bien, même. A ce propos, il faut que je te parle d'un truc...
- Oui ?...
- Lola et moi, on va se marier...
- Tu plaisantes ?...
- Non, pas du tout. Je voulais que tu sois le premier à l'apprendre.
- Mais c'est... c'est génial Julian !
- C'est vrai ? Tu trouves aussi ?
- Complètement !
- Je t'avoue que j'ai du mal à y croire, mais bon, on est bien ensemble, on est bien ici, rien ne peut plus nous séparer, alors je me suis dit qu'il fallait le faire, tu vois...
- Je t'envie, tu sais !
- Ca viendra un jour pour toi aussi, tu verras ! Enfin heu... je veux dire... Ils finiront par vous donner le droit à vous aussi -enfin tu m'as compris quoi. »
Nous raccrochons. Je sens monter en moi une vague d'amertume. Non, Julian. Non seulement ils ne nous le donneront pas, le droit de nous marier, mais en plus ils nous diront « Mais vous avez le PACS, maintenant, de quoi vous vous plaignez ? Qu'est-ce ce que vous voulez de plus ? ».
Je veux de la magie. Rien de plus. Je veux que Julian soit content pour moi comme je suis content pour lui.