Fragment #180 - Joyeuse Saint-Valentin

Samedi 14 février 2009
à Paris

19h22. Laura est avec son Damien. Je vais aller me promener ; pour les laisser seuls. Pour les laisser seuls je vais me retrouver seul. Comment ne pas penser à Melissa ? Je n'ai pas eu de nouvelles d'elle depuis notre rupture. Comment va-t-elle ? Voit-elle quelqu'un en ce moment ? Que fait-elle ce soir ?
Je me promène dans les rues. Je ne vais pas loin. Je ne sais pas quand je pourrai rentrer. Va-t-il l'emmener au restaurant, comme vont le faire beaucoup de couples ce soir ? Je passe devant une vitrine de bijoux. La boutique même où j'ai acheté le bracelet de Laura pour Noël. Elle est décorée de mille cœurs rouges. Des Cupidons tirent des flèches dans le vide. Je regarde ce vide. Mon cœur est vide. Mon reflet dans le miroir voudrait sûrement me souhaiter une joyeuse Saint-Valentin. Pourquoi ? Quelle est cette fête qui ne sert à rien. On s'aime toute l'année normalement. Pourquoi attendre spécialement ce jour pour affirmer son amour ? Sa passion. Ma réaction est celle du célibataire aigri évidemment. Comprenez cependant que c'est dur d'être seul ici. Seul à Paris. Seul, parce que la plupart des gens que je côtoie ici sont en couple. Seul parce que ma famille est loin. Seul. Seul face à cette vitrine. Éloigné des gens que j'aime. Lilian. Maman. Papa. Mélissa. Comprenez qu'être célibataire pour la Saint-Valentin, c'est comme être pauvre, ou loin de sa famille, pour Noël. La société nous rend encore plus seuls. J'aimerais être africain, ne pas avoir ce problème. Qui n'est, cela dit-en passant, pas existentiel, mais ce soir plus que d'habitude un problème. Un problème pesant. La nuit est sombre, l'absence d'autrui est lourde, aucun vide le bruit ne comble, j'aimerai qu'arrive minuit, et que sonne la fin de ma solitude. Demain tout ira mieux. Demain ce ne sera plus la Saint-Valentin, ce ne sera plus la fête des amoureux. En attendant je traîne des pieds sur les bords de Seine. J'ai finis par m'éloigner de chez moi. Plus loin le périf gronde ; les mains plongées dans les poches de mon caban, j'avance lentement, bravant le froid, bravant le vent. Le trottoir n'est éclairé que par les lampadaires et par les phares des véhicules circulant. Je distingue au loin un silhouette. Féminine. Jolie. Je crois. Elle est assise sur le rebord . Ses pieds pendent dans le vide, se sont croisés. Elle est seule. Un Signe ? J'aurais envie d'aller m'asseoir à côté d'elle. Je n'accélère pas. Je vais y aller calmement. Comme si de rien n'était. Comment l'aborder ? Ne rien dire. Oui je crois que je vais m'asseoir. Je regarderai l'autre rive. Comme elle. Et puis j'attendrai qu'elle parle. Elle parlera. Elle me demandera comment je m'appelle, ce que je fais ici seul. Elle m'invitera à aller me réchauffer chez elle. La réchauffer. Plus qu'une cinquantaine de mètres. Le scénario se rode dans ma tête. Je n'étais pas au courant, il doit y avoir eu un changement dans la distribution, un autre prend mon rôle. Je ne l'ai pas vu arriver. C'est un homme. Il porte deux grand gobelet qui fument. Elle tourne la tête vers lui et l'embrasse tendrement pendant qu'il s'assoit près d'elle. Je les dépasse. Sans un mot. Déçu. Au moins j'avais appris mon texte. Joyeuse Saint-Valentin.
Il n'y a presque personne dans le métro. Seul.