Fragment #31 - Seize heures moins dix

Quinze heures cinquante. Plus que dix minutes. Enfoncée dans les coussins du canapé, j'attends nerveusement la mise en ligne des résultats des examens. J'essaye de me détendre mais tout autour de moi me pousse au stress. La grande horloge en bois et son énorme pendule égraine les secondes, les tic-tacs s'enchaînent inexorablement, me rapprochant du moment fatidique. Sur l'autre mur, un immense meuble de bois sombre, sur lequel s'entassent papiers, bibelots, cadeaux et photos de famille. Sur l'une des étagères est exposée une collection d'assiettes en porcelaine, accompagnées d'un service à thé qui n'a jamais servi. Sûrement un cadeau de mariage. Mon regard se porte à nouveau sur l'horloge. Quinze heures cinquante-deux. Ca n'avance vraiment pas. Retour sur le meuble. A l'extrémité droite, à coté d'un annuaire téléphonique, la photo de grand-père. Je m'y attarde un instant. Un large sourire, les yeux qui brillent, le crâne dégarni. Je n'avais jamais vraiment fait attention, mais c'est vrai qu'il ressemble à maman. A l'autre bout du meuble, plus proche de moi, une grande maquette de voilier. Elle appartient à papa. Depuis que je suis toute petite, je l'ai toujours vue chez nous. Même avant que nous ne déménagions, elle était déjà là. Je dirige maintenant mon regard vers le haut du meuble. Sur la plus haute des étagères trône une rangée de poupées russes. Alignées, de la plus grande à la plus petite, identiques, les onze poupées me foudroient du regard. Elles me font peur. Je me lève. Quinze heures cinquante-six. Mon estomac se tord légèrement. Il est temps de monter. Je sors du salon, traverse le petit couloir qui mène à l'escalier. Tandis que je monte les marches, la pression se fait de plus en plus forte. Ces résultats, c'est une occasion rêvée pour l'angoisse de déployer à nouveau toute sa puissance. Et je la sens. Je la sens dérouler ses tentacules noirs à travers mes veines, enserrer mon estomac, mon cœur et mes poumons. J'arrive dans la chambre. J'allume l'ordinateur d'une main tremblante. Jingle Windows. Affichage des icônes. Je clique sur celle du navigateur internet, la gorge serrée. Quelques secondes plus tard, je suis sur le site de l'université. Service d'authentification. Merde ! Mon login. Je l'avais noté sur un papier. Je file vers mon bureau où s'amoncèlent des kilos de papiers en tous genres. C'est pas vrai ! Je soulève les classeurs et les livres, regarde sous chaque feuille de brouillon, vide les tiroirs. Mais je ne trouve rien. Je me laisse tomber sur le lit, le visage dans les mains. Mais comment je vais faire ? J'ai envie de vomir. C'est à cause de l'angoisse. Je ne la contrôle plus. Elle s'est infiltrée dans la moindre parcelle de mon corps, du bout de mes doigts qui tremblent, jusque dans mes neurones qui ne comprennent plus rien. Mais pourquoi je me mets dans des états comme ça, merde ! C'est alors que je le vois. Collé au-dessus de mon lit, un petit post-it jaune. Je bondis dessus, l'arrache et retourne vers l'ordinateur.
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