Fragment #41 - La goutte d'eau qui fait déborder le vase

La soeur de Damien vient de raccrocher. Elle est aussi inquiète que moi mais en profite pour me faire sentir que nous ne sommes pas amies. Ne te fais pas un sang d'encre pour moi, Claire Den, je ne suis pas le genre de fille possessive qui te volera ton frère.
En cuisine, Juliette et Amina me tapent sur le système. C'est pas le jour, bande de connasses, j'ai pas envie de me prendre la tête avec vous, surtout pas aujourd'hui. Damien est dans un état critique et je ne sais pas du tout ce qui va se passer, alors vos histoires de hamburgers mal préparés, vous pouvez vous les foutre là où je pense.
« Laura, tu peux me regarder quand je te parle ?
- Juliette, tu peux fermer ta gueule quand tu vois que c'est pas le moment ?
- Non mais tu te fous de moi ou quoi ?! T'en as pas marre de me parler comme ça ?
- J'aimerais juste que t'évite de me faire chier aujourd'hui, c'est tout.
- Ben tu sais ce qu'il te reste à faire, j'attends toujours ta lettre de démission.
- Eh ben vire moi, merde.
- Non, c'est toi qui partira toute seule comme une grande. Et j'ai pas peur de me faire péter le nez par ton mec, alors crois-moi, je cèderai pas. »
Je sens un brasier terrible grandir en moi. Une douleur qui me prend aux tripes et me brûle les artères. Un incendie qui se répand jusque dans mes mains et mes jambes, et qui me fait frissonner des pieds jusqu'à la tête.
Je hurle :
« Tu diras à ton putain de connard de Simon qu'il réfléchisse à deux reprises la prochaine fois avant de sauter sur mon mec, parce qu'à cause de lui Damien est à l'hosto et c'est bien plus grave qu'un nez pété. Maintenant si t'es pas capable de comprendre ça, effectivement, t'auras ma lettre de démission dans la journée. »
Des larmes ont coulé sur mes joues pendant que je parlais. Je réprime un sanglot de rage et m'enfuis dehors. Je me fous des autres équipiers. Je me fous des managers et des caissiers. Je me fous des clients et du vigile. Je me fous des passants qui me regardent d'un air ahuri. Il faut que je sorte d'ici, que je respire, il faut que je crie. Je cours dans la rue, place de la République. L'air froid brûle mes bras nus et mon visage. Je couvre mes yeux à l'aide de mes mains.
Je n'en peux plus de cette guerre interminable. Je n'en peux plus de me sentir détestée. Je n'ai nulle part où me reposer, où me sentir en sécurité. Même les bras de Damien ont cessé de m'apporter le réconfort. Je lui en veux d'être à l'hôpital, je lui en veux de ne pas aller bien et de me forcer ainsi à m'inquiéter pour lui. Je suis morte de peur à l'idée qu'il lui arrive quelque chose de grave.
Inattendue, une main se pose sur mon épaule.
« Allez viens Laura, me dit Juliette avec douceur. Va te changer et rentre chez toi. Tu reviendras quand toute sera arrangé. »
Et si rien ne s'arrangeait, au final ?