Fragment #49 – Retour chez papa et maman

Ils me fouettent le corps à n'en plus finir. Ma peau se strie de marques rouges, et des rires s'élèvent dans la cellule capitonnée. Ici les odeurs de mâles imprègnent l'air chaud et moite. Les hommes torses nus s'amusent à me lacérer le dos à coup de cravaches. Leurs fouets cinglent l'air avec régularité, et mes cris de douleur viennent ponctuer ces battement d'ailes sauvages. Je ne pleure plus, désormais. J'encaisse sans broncher. Les râles s'échappent de ma bouche sans que je puisse les contrôler. Je suis attaché par les poignets et les chevilles à des sangles de cuir, que des chaînes métalliques relient au plafond. Mon corps pend tristement dans le vide, et chaque coup le fait convulser et se raidir. Les yeux rivés au sol, je sens mon esprit s'embrumer. Je vois des pieds nus et trapus, des jambes velues, et j'entends des voix sans comprendre les mots. Ils m'enculent à tour de rôle, rient, jouent à me torturer. Du sang perle sur le béton gris et froid, et je jouis en voyant ce liquide écarlate qui glisse de mon dos endoloris. Une fois qu'ils ont tous éjaculé en moi, les tortionnaires quittent la cellule silencieuse. La porte se referme sur eux. Alors, peu à peu, je reprends mes esprits. Mes mains et mes pieds s'agitent et font couiner les chaines. Impossible de me libérer. Et pourtant, autour de ma poitrine, les salauds ont attaché une bombe.
Mon coeur va faire boum boum.

Je me réveille en sursaut. Autour de moi, il y a ma chambre d'enfant. Immobile, silencieuse. Je me revois, gamin, avec mes dinosaures et mes légos partout sur le parquet. Les années ont passé, et j'ai grandi. Tous les jouets sont partis à la cave. Les murs violets se sont couverts d'affiches et de posters. Gorillaz et ses personnages sombres. J'ai installé des enceintes pour profiter du meilleur son possible, et savourer la voix de Damon Albarn avec Anne et les autres, allongé sur mon lit ou sur le plancher. Mes cheveux étaient longs et tombaient sur mes yeux. Mes vêtements amples cachaient mon corps maigre. Je me souviens du jour où j'ai annoncé mon homosexualité à Alexandre. Je me souviens de notre amitié naissante. Je suis sorti de mes ombres. Je suis revenu à la lumière. J'ai coupé mes cheveux et mon visage s'est illuminé. J'ai quitté la maison pour aller vivre avec Julian dans un appartement en plein centre-ville. Jed est entré dans ma vie et m'a fait découvrir la sexualité. En partant, il m'a montré ce qu'était le pire des chagrins. La solitude, la frustration, le manque. Je suis monté à Paris pour enquêter avec Alexandre sur le briquet que sa soeur Laura lui avait donné, et qui venait de ce type bizarre, un ex à elle, Nathan. Je suis sorti avec un garçon rencontré sur MSN et qui m'hébergeait sur Paris, Nicolas, puis nous avons rompu car il était encore amoureux de son ancien petit ami. Il a fallu attendre la fin de l'année pour que je rencontre Robin et que j'entame avec lui la plus longue et la plus belle des relations que j'ai jamais vécue.

Allongé dans mon lit, je regarde le plafond, tandis que mes yeux se réhabituent à la lumière après une nuit de sommeil. Je laisse mes paupières battre lentement, et mes souvenirs défiler un à un. Mon passé se retrace devant moi, sur ce fond mauve et flou, où se dessinent les silhouettes d'un groupe de rock imaginaire. Une fois réveillé, je sors de mon lit, encore en pyjama. Je descends les escaliers de l'étage pour rejoindre le salon. La maison familiale est froide et muette. Papa est parti au travail depuis des heures, et maman prépare le déjeuner dans la cuisine en chantonnant à voix basse. Je la rejoins, dépose un bisou sur sa joue. Elle me sourit tendrement en me montrant les pâtes fraiches qu'elle prépare uniquement pour moi. Je me sens apaisé par son amour.
Ici, rien ne peut m'arriver.